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Or, à l’habitude, il ne va guère plus avant. Quand à force d’épier en lui-même, ou hors de lui, le trait caractéristique et inévitable de la peur, de l’enthousiasme, de la sympathie, de la tendresse, il a réussi à le surprendre, il s’en contente et s’arrête. Ce n’est là certainement qu’une partie de la poésie, la plus difficile peut-être, la plus rare, la plus essentielle, la plus incontestée, mais non pas la seule. Il en est une autre non moins réelle, tout aussi glorieuse, et, à coup sûr, très utile à l’effet de la première : c’est le développement.

Croyez-vous que les Espagnols seraient moins beaux si les figures étaient moins pressées ? N’y aurait-il pas un charme plus soutenu, si toutes les scènes, qui sont admirablement esquissées, étaient menées à bout, amenées ? Il ne suffit pas d’indiquer une situation, il faut l’approfondir. Il ne suffit pas de donner les symptômes d’une passion, il faut l’expliquer, en donner poétiquement la théorie, montrer par quelles transformations successives elle a passé avant de se révéler et de se trahir. Dialogue ou monologue, peu importe. Une fois que le poète laisse entamer sa fantaisie par de mesquines chicanes sur la vraisemblance, il n’y a plus de poème possible.

C’est pourquoi je regrette que don Juan et madame de Coulanges soient mis en scène avec une sobriété si excessive. Ils ne disent rien d’inutile ; mais disent-ils tout ce qu’il faut ? je ne le crois pas.

Et vous comprenez bien que je ne plaide pas ici pour la cause du théâtre, car évidemment la pièce a été faite pour la lecture et ne pourrait être représentée.

La Guzla, publiée très obscurément en 1827, n’a pas eu et ne pouvait guère avoir un succès éclatant. On s’en est occupé en Allemagne beaucoup plus qu’en France. Les pièces de ce recueil, données par l’auteur comme traduites d’originaux illyriques, sont inventées avec une grande habileté, et soutiennent glorieusement la comparaison avec les chants klephtiques que M. Fauriel nous a fait connaître, et aussi avec les poésies serviennes et hongroises que le docteur Bowring a publiées à Londres. Goëthe, qui avait donné, dans son journal de Weimar,