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mans du cycle carlovingien et en fait un des caractères les plus généraux, est un fait très remarquable qui ressortira mieux encore de ce que j’ai à dire de l’exécution poétique de ces mêmes compositions. J’ajouterai seulement ici deux observations qu’il suggère naturellement, et à l’appui desquelles il s’en présentera par la suite plus d’une autre.

Ce qu’il y a, dans les romans carlovingiens, de plus rude et de plus barbare que les mœurs des classes chevaleresques aux douzième et treizième siècles, me semble indiquer expressément que plusieurs de ces romans ont dû être composés sur un fonds, sur des matériaux antérieurs, dont ils n’ont été qu’une espèce de refonte, avec des détails et des accessoires nouveaux, mais dans le style et sur le ton du sujet et du fonds primitifs.

Mais quelles qu’en fussent la raison et la cause, il est certain que ces romans furent toujours, pour le sujet et pour la forme, beaucoup plus populaires que ceux de la Table ronde. Tout annonce qu’ils étaient composés pour le peuple, plutôt que pour les châteaux, et par des poètes d’un ordre moins élevé que les trouvères ou les troubadours, auteurs des chants lyriques des douzième et treizième siècles. Mais quand je dis des poètes d’un ordre moins élevé, je ne veux pas dire des poètes de moins de génie ; je veux dire des poètes moins élégans, moins raffinés dans leur langage et leurs idées, ignorant ou dédaignant les délicatesses de la galanterie chevaleresque, et conservant de leur mieux, dans leurs compositions, le ton et le goût d’une vieille école, d’une école antérieure à l’époque de la chevalerie et de la poésie galante des troubadours.

Il est certain que les romans de la Table ronde et ceux du cycle carlovingien co-existèrent durant deux siècles au moins ; mais il est impossible de se figurer qu’ils fussent également goûtés par les mêmes classes. Nul doute qu’il n’y eut, surtout dans le midi, beaucoup de petites cours et de châteaux où les mœurs des paladins et des princesses que ces paladins rencontraient sur leurs pas, devaient paraître à-peu-près aussi grossières qu’elles nous paraissent à nous-mêmes ; et l’on devait les y trouver d’autant plus choquans, que les mœurs contraires étaient encore ré-