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événemens auxquels ils se rapportent. On ne peut les concevoir que comme l’expression d’une tradition vivante et continue de ces mêmes événemens. Si au douzième siècle le fil de ces traditions avait été rompu, il aurait été impossible de le renouer et d’y rattacher la foi et l’intérêt populaire.

On a d’ailleurs la preuve positive et directe que ce fil n’avait pas été rompu, et que les romans du douzième siècle, où il s’agit des guerres antérieures des chrétiens avec les Arabes d’Espagne, se rattachent à d’autres productions poétiques sur le même sujet, productions dont quelques-unes remontent au commencement du neuvième siècle, comme nous le verrons ailleurs. En un mot, il n’y a aucun moyen de concilier, avec les notions les plus intéressantes et les plus certaines que l’on ait sur la marche et les développemens naturels de l’épopée, l’hypothèse qui donnerait pour motif unique et absolu de l’invention des romans carlovingiens un dessein religieux ou politique de seconder le mouvement des croisades.

Je viens maintenant à d’autres romans que l’on comprend d’ordinaire, ainsi que les précédens, parmi les romans du cycle de Charlemagne, ou, comme on peut dire plus exactement, du cycle carlovingien. — Cette dénomination générale convient en effet à ces romans, en ce sens que ce sont aussi des princes carlovingiens qui y figurent. Mais le motif historique en est non-seulement différent de celui des premiers, il y est en quelque sorte opposé ; et dès-lors dans quelque classe qu’on les range, ces romans formeront un groupe tout-à-fait à part de tout autre.

Le morcellement de la monarchie franke dans la Gaule fut la suite et le résultat d’une lutte très vive entre les monarques et ceux de leurs officiers auxquels ils étaient obligés de confier le gouvernement des provinces. — Cette lutte fut longue, et les chances en furent très diverses. Si en définitive les chefs révoltés furent victorieux, ils eurent, dans le cours de la lutte, de terribles revers, de grandes catastrophes à essuyer. À ne voir que le péril qu’ils couraient, que les efforts qu’il leur fallait faire pour réussir, que les justes raisons qu’ils avaient parfois de se