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ROMANS CHEVALERESQUES.

de la confusion, des contradictions, qui devaient résulter de tant de variantes d’un même thème.

Mais, quand l’imagination romanesque commença à se lasser et à s’épuiser, les compositions originales et isolées devinrent plus rares, et il y eut alors des hommes auxquels vint naturellement l’idée de lier, de rapprocher, de coordonner dans un même ensemble, dans un même tout, celles de ces productions qui avaient le plus de rapports entre elles, ou qui se prêtaient le mieux à cette espèce d’amalgame. Ainsi, le grand roman en prose de Lancelot du Lac fut un mélange, un rapprochement des aventures des principaux chevaliers de la Table ronde, et de tout ce qui avait rapport à la fable du Graal. — Ainsi encore furent rapprochées, dans le fameux roman de Guillaume au-court-Nez, les aventures et les guerres de tous les prétendus descendans d’Aimeri de Narbonne, aventures qui avaient été célébrées dans des romans à part. — Ces grandes épopées, amalgame ou fusion de plusieurs autres, formaient de véritables cycles épiques, et représentent quelque chose d’analogue à ce qui se passa autrefois en Grèce.

Dans le premier âge de l’épopée grecque, il n’y eut de poètes que ceux auxquels Homère, qui en était un, donne le nom d’aœdes. Ces aœdes composaient de petits poèmes, des épopées de peu d’étendue, dont les traditions nationales ou locales de la Grèce fournissaient la matière. Ces petits poèmes étaient destinés à être chantés de ville en ville, de peuplade en peuplade, soit par leurs auteurs mêmes, par les aœdes compositeurs, soit par d’autres aœdes d’un ordre inférieur, dont la fonction se bornait à celle des chanteurs des compositions d’autrui.

Comme ces épopées n’embrassaient que de petites portions, que des faits isolés de l’histoire nationale ; comme, d’un autre côté, elles s’étaient beaucoup multipliées avec le temps, et qu’on les chantait, sans aucun égard au rapport historique qu’elles pouvaient avoir entre elles, il en résulta, à la longue, une grande confusion, un bouleversement complet de toutes les traditions historiques.