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que les plus anciens soient ceux de la Table ronde : il n’en résulte nullement qu’il n’ait pas existé de romans de Charlemagne, aujourd’hui perdus, composés bien antérieurement à tous ces derniers. — C’est un fait dont nous aurons par la suite des preuves certaines et convaincantes.

J’ai déjà laissé entrevoir qu’il ne faut pas chercher beaucoup de fidélité historique dans les détails, ni même dans le fond des romans chevaleresques, à quelque classe qu’ils appartiennent. Il suit de là que les auteurs de ces romans, en tant qu’ils ont été peintres de mœurs et d’idées, ont dû représenter bien moins celles de l’époque de leurs personnages, que celles de leur propre temps.

Or, l’intervalle de 1100 à 1300, dans lequel il est constaté que furent composés ces romans, constitue la période la plus brillante de la chevalerie, celle durant laquelle les institutions chevaleresques eurent le plus de prise sur les mœurs, et sur la société. Il est donc impossible que des épopées écrites sous l’influence de ces institutions n’en soient pas une expression plus ou moins complète, plus ou moins fidèle. — Les poètes qui chantaient les paladins de Charlemagne ou les chevaliers de la Table ronde, étaient ces mêmes troubadours ou trouvères qui chantaient pour leur compte de belles et hautes dames, qui tournaient et retournaient en tout sens, dans leur poésie lyrique, toutes les délicatesses, toutes les subtilités de la galanterie chevaleresque. Ces poètes pouvaient faire, ils faisaient peut-être même quelque effort pour se transporter dans les temps de Charlemagne et d’Arthur, pour prendre le ton, les idées et les formes de poèmes plus anciens qu’ils pouvaient avoir sous les yeux ; mais ils avaient beau faire, il n’était pas en leur pouvoir de se défaire des idées, des opinions de leur siècle ; et quoi qu’ils voulussent peindre, c’étaient toujours eux et leurs temps qu’ils peignaient : ils remplissaient, le sachant ou à leur insu, la vocation du poète qui est de répandre, en les idéalisant, en les élevant, par l’expression, les idées sous l’empire desquelles marche la part de la société humaine à laquelle il appartient.