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avec ses qualités et ses défauts, ses travers et ses avantages ; on vous estimera votre prix, et les destins s’accompliront. Et puis aussi, consultez votre temps : s’irriter contre son siècle, c’est ressembler à Xercès, qui faisait châtier la mer ; il est insensé de vouloir emporter son époque ou d’assaut ou par ruse ; on ne conquiert pas l’humanité par un coup de main. J’admire en vérité ces impatiences qui se gonflent comme des vagues furieuses, et comme elles viennent mourir sur la grève sans avoir fécondé le sol.

Que devait-on se proposer, si ce n’est de continuer à marcher dans la route ouverte par Condorcet et Saint-Simon[1], ne prendre le nom de personne, s’associer pour étudier, mais librement ; n’affirmer que ce qu’on savait, apprendre tous les jours, croître avec naïveté, se laisser devenir grand, et se fier à Dieu, comme la nature au soleil ?

Cependant, monsieur, même dans cette entreprise avortée, tout n’a pas été perdu, et tout ne sera pas stérile. Trop de questions ont été soulevées, trop de problèmes jetés au milieu de la société française, trop de jeunes esprits émus, réveillés, pour ne pas estimer considérable l’influence du saint-simonisme. Il a fait plus en deux ans, il a remué plus de difficultés que la philosophie de la restauration en quinze années. Plusieurs des opinions qu’il a propagées dirigent la presse périodique tant à Paris que dans nos provinces ; la tribune législative a répété quelques-uns de ses principes. Le saint-simonisme s’est fait connaître partout en France ; il est un symptôme du besoin de rénovation qui nous travaille ; il est, pour ainsi dire, une table des matières vaste et confuse, un prospectus hâtif de la philosophie française du dix-neuvième siècle : il sera bon de s’ingénier, afin que l’ouvrage annoncé ne reste pas toujours sous presse.

À l’heure où je vous écris, monsieur, il n’y a plus ni saint-simonisme, ni saint-simoniens ; tout s’est évanoui, car je ne compte pas dans l’ordre des idées la secte qui donne en ce moment un si pitoyable spectacle ; il est plus triste que risible

  1. Voyez l’appréciation de ce philosophe dans la Philosophie du droit.