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rends grâce à la société de s’être montrée rebelle à une pareille métamorphose, car pour ne pas mourir de faim, nous serions morts d’ennui.

Après avoir pris quelques faits économiques pour des lois morales, le saint-simonisme emprunta plusieurs idées à Bentham ; il fortifia ainsi son application du principe de l’utilité, et crut avoir entièrement parcouru la sphère de la législation.

La science historique du saint-simonisme a été fort légère ; le point de départ est vrai ; Turgot, Condorcet, avaient esquissé cette ligne directe et progressive de l’humanité que nous reconnaissons de plus en plus pour la loi de l’histoire ; mais pourquoi avoir embrouillé cette idée avec cette éternelle intervention d’un antagonisme factice, surtout au moment où l’on niait les réelles oppositions que présente la nature humaine ? Pourquoi encore avoir abusé de cette distinction en époque critique, époque organique, qu’on pouvait trouver ingénieuse à la première vue, fausse à la seconde, mais à coup sûr insupportable à la troisième. La formule était commode, je l’avoue, pour dispenser de l’étude ; l’érudition se trouvait supprimée, puisque l’histoire aussi était révélée ; et les bibliothèques étaient déclarées suspectes, puisqu’elles pouvaient devenir des instrumens d’hérésie.

Dans le domaine du beau, le saint-simonisme n’a que le mérite d’avoir renouvelé une vue juste, l’utilité sociale de l’art ; mais encore il l’a faite trop matérielle et trop bornée : sans doute l’art dans sa vocation n’est pas seulement, soit une fantaisie individuelle, soit une contemplation du passé mêlée de regret ; je ne crois pas que le poète de notre âge doive consumer sa vie devant le portail de Reims, la cathédrale de Cologne ou de Strasbourg ; mais l’art est infini ; mais c’est la liberté, c’est la vie, c’est la grandeur, c’est la délicatesse, c’est le sacrifice, c’est l’égoïsme. Artiste, marche ton chemin à ton heure, à ta guise. As-tu le rameau d’or ? Je ne te demanderai pas comment tu l’as conquis ; mais, quand tu le montreras aux sociétés, elles tressailliront. La beauté, la véritable beauté, fille de l’art, ne nous donne pas des plaisirs stériles : elle nous élève en nous charmant ; le