Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/479

Cette page a été validée par deux contributeurs.
475
LETTRES PHILOSOPHIQUES.

peine conçues et rassemblées : ce n’est pas assez, ils fabriquent à leur tour une révélation ; ils se forgent un nouveau verbe de Dieu, et dans un monstrueux délire, au nom de Jésus-Christ ils accolent celui de Saint-Simon. Téméraires, vous avez désormais perdu toute puissance, car vous vous êtes jetés hors des voies de la vérité. Quelle est donc cette manie qui vous pousse à déclamer contre les philosophes, quand votre honneur et votre force seraient de pouvoir l’être un jour ? Quel est ce vertige ? Quoi, dès les premiers pas, vous trébuchez dans des aberrations qui repoussent tous les cœurs ! Mais nous ne sommes pas au bout, et je vous vois encore condamnés à d’autres erreurs.

Voilà donc Saint-Simon installé en qualité de révélateur ; il fallait bien une église à ce nouveau fils de Dieu ; on commence d’abord par vouloir imiter les premiers temps du christianisme, mais bientôt on se lasse d’une position si médiocre, et l’on passe d’un bond à la contrefaçon complète du catholicisme ; même on renchérira sur sa théocratie ; au lieu d’un pape, on s’en donnera deux ; pour être encore plus original, le nouveau clergé empruntera au jésuitisme ses ruses, ses pratiques et son obéissance passive : vous voyez, monsieur, comme en peu de temps, on peut habiller une petite religion tout-à-fait présentable. Cependant le nouveau culte venait se heurter contre une difficulté, c’est que ce catholicisme, dont on arrachait les plumes pour se les attacher, avait été depuis long-temps dépassé par une révolution religieuse, le plus grand événement des temps modernes jusqu’à la révolution française, et que retourner à la religion catholique au lieu de suivre, pour l’accélérer, le mouvement imprimé par la réforme, était l’un des plus rudes contre-sens où pussent faire tomber de fausses préoccupations. N’importe, pour si peu, les révélateurs ne s’arrêteront pas ; ils ne connaissent d’ailleurs le christianisme que par les yeux de De Maistre ; à quoi bon les longues études, quand on est inspiré ; ils diront, ils répéteront obstinément que le christianisme n’existe que dans le catholicisme. En vain les premiers commencemens de la doctrine chrétienne, en vain les temps écoulés depuis le seizième siècle, en vain la conscience de plus de la moitié du monde, qui s’incline