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LES CONFIDENCES.

vint me dire qu’il était revenu, qu’il se portait bien et qu’il dormait !

Mon amour seul alors put conserver encore des craintes. Je rougis de l’avouer, ce fut dans cet instant que je commençai réellement à souffrir. D’étranges suppositions venaient assiéger mon esprit, quoiqu’aucun fondement ne pût les faire admettre, et cependant bientôt de plus absurdes encore leur succédèrent. Enfin on m’annonce l’homme chez qui Émile avait dîné la veille. Tout autre n’eût pas été reçu ; mais il m’importait trop de découvrir ce mystère. Je lui parlai de sa réunion, de ses convives. — J’ai été agréablement surpris, me dit-il, en voyant entrer une femme de mes amies, qui voyage depuis un an. Il est vrai qu’elle m’avait promis, avant son départ, d’être hier mon hôte ; mais j’avais regardé cet engagement comme une plaisanterie. — Qui est-ce ? dis-je, troublée sans en savoir la cause. — La comtesse de G…, me répondit-il. — Eugénie, madame de G… était la femme qu’Émile avait aimée !… Tout me fut expliqué… Après de longs et pénibles combats, je me décidai à écrire à Émile. Je lui disais que j’avais su ce retour imprévu, que sa conduite était pardonnée, et qu’il devait de nouveau me regarder comme son amie. Je prétendis n’avoir jamais été autre chose pour lui, et j’attribuai à la joie qu’il avait montrée de se croire aimé le silence que j’avais gardé sur mes vrais sentimens. Tu sais, Eugénie, combien j’étais éloignée de penser ce que j’écrivais ; mais je ne voulais pas lui donner de nouveaux remords, ni avoir à rougir devant lui de ma tendresse dédaignée. Ma lettre fit accourir Émile. Il me remercia avec ravissement de ma feinte indifférence, et entra dans les détails de sa déplorable rechute. Il me parut excusable : nous avons si peu de force ! et je l’estimais pour sa franchise, lorsqu’il me faisait ses pénibles aveux, car il nommait ma tendresse un bienfait, s’en disait indigne, et assurait qu’elle ne devait être que le prix d’un premier amour. Enfin, croyant que je pouvais en disposer encore, il me supplia, si jamais je la donnais, d’être toujours son amie ; et tandis qu’il bâtissait ainsi des projets sur mon indifférence, tout bas, moi, je faisais vœu de lui consacrer ma vie.