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LA MORT DU DUC DE REICHSTADT.

roi de Rome, dont nous avons bégayé les hommages pour faire, comme nos pères, les plats flatteurs, et qui ne t’avons pas oublié comme nos pères ont oublié le tien ! toi, Bordeaux, joli et charmant enfant, à qui nous ne ferons pas payer les fautes de ta nourrice. Enfans ! enfans ! soyez émancipés, il est temps, de vos indignes tuteurs. Enfans ! fils de rois tout-puissans, ne pensez plus au trône de vos pères qui ne peut plus revenir. Astres gémaux ! l’un est allé attendre l’autre en exil, qui ne s’est pas fait attendre long-temps. Donc, puisque vous n’êtes pas les rois de ce monde, donc puisque vous venez nous demander à nous, non pas le manteau royal, mais une toge virile, une simple toge de laine blanche, sans même le lambeau de pourpre patricienne ; enfans ! enfans ! soyez les bien-venus parmi nous, poètes ! Soyez les bien-venus parmi nous, jeunes gens, qui n’avons pour vous ni peur, ni haine, ni colère ; venez au milieu de nous, rois d’un jour comme tous les rois de ce monde dont vous êtes les égaux ! Et nous voilà, nous autres, à leur tendre les bras à tous deux ! Nous voilà sur la grande route à les voir passer ces deux infortunés adultes ! ces deux têtes faites pour de si grandes couronnes, et qu’ils n’auront même pas la peine de découvrir à leur retour ; car ils ne sont plus assez grands ni l’un ni l’autre même pour avoir le droit de saluer le peuple aujourd’hui !

Vous voyez quel beau roman c’était là ! Quels héros ! quels grands noms ! quelles infortunes ! Et quel variété de noms, de héros, de fortune ! L’Empereur d’hier et le vieux roi de l’ancienne monarchie, représentés chacun par un enfant exilé ! L’enfant-peuple, roi par ce peuple, détrôné ! L’enfant de la grâce de dieu, détrôné ! Jeunes gens privés d’avenir, de droits politiques, de mariage, de patrie, de tout ce qui fait le citoyen ! échos vieillis qu’on n’interroge plus ! dieux tombés qu’on n’invoque plus ! si jeunes et si pleins de souvenirs ! débris de quinze à dix-huit ans ! ruines toutes jeunes, toutes roses, sur lesquelles le rasoir du barbier n’a pas encore passé ! L’un, iie du nom, aussi décrépit que l’autre qui était le cinquantième de sa race ! Les deux principes souverains, le Peuple et Dieu, à quinze ans, allaient à pied sur la grande route, hâlés par le soleil, priant le paysan qui passe de