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SIGURD.

« Et alors je fus enchaînée et prise de guerre, et, avant la fin de cette année, déjà avancée, j’étais obligée de parer l’épouse d’un chef guerrier et de lui attacher sa chaussure chaque matin.

« Elle me tourmentait par jalousie ; elle me frappait de coups violens. Je n’eus jamais de meilleur maître, mais jamais de pire maîtresse. »

« Gudruna n’en put pour cela pleurer davantage, tant elle était triste de la perte de son époux, tant son âme était endurcie par la mort de ce roi.

« Alors parla sa sœur Gullranda. « Vous en savez peu, nourrice, quelque sage que vous soyez, pour consoler une jeune femme. Et elle fit découvrir le corps du roi. »

« Elle retira le tapis du cadavre de Sigurd, et posa les joues du héros sur les genoux de sa veuve. « Vois-tu, ton bien-aimé ; colle ta bouche sur ses lèvres, comme si tu l’embrassais vivant. »

« Gudruna regarda. D’un regard, elle vit la chevelure du roi teinte de sang ; ses yeux, qui brillaient naguères, éteints ; sa poitrine déchirée par le glaive.

« Alors Gudruna retomba sur les coussins : ses cheveux se détachèrent ; ses joues devinrent rouges, et une pluie de larmes ruissela jusqu’à ses genoux.

« Elle pleura cette fois la fille de Giuki à tel point, que les larmes se précipitaient en abondance, et dans la cour ses beaux cygnes répondirent à ses cris. »

Chrimhilde, mère de Gudruna, donna à sa fille un breuvage amer et froid dans une corne à boire, sur laquelle étaient gravées des runes sanglans, et qui contenaient toute sorte d’ingrédiens magiques : c’est le type du chaudron des sorcières de Macheth, qui elles-mêmes sont les trois Nornes[1] de la mythologie scandinave.

Ce breuvage enlève la mémoire à Gudruna. Chrimhilde la presse d’épouser Atli, roi des Huns. « Ne me pressez pas, répond-

  1. Elles s’appellent the weird systers, d’Urda, nom de la principale des Nornes.