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arrivé rarement aux esprits d’élite, aux hommes choisis et prédestinés, de rencontrer du premier coup la route qu’ils doivent suivre, hors de laquelle il n’y a pour eux ni gloire, ni bonheur, ni force, ni enthousiasme. Pour ceux qui se contentent de vivre et de passer sans laisser de traces, toute voie, quelle qu’elle soit, est bonne et prospère. Dans quelque sens qu’ils marchent, leurs pas sont assurés de toucher le but ; car ils n’ont pas d’autre dessein en tête, d’autre espérance au cœur, que de finir après avoir duré, de s’endormir après la veille, d’oublier dans un sommeil sans rêves les fatigues du jour. Mais l’histoire et la philosophie n’ont rien à faire avec cette humanité sans âme, et l’abandonnent sans regret, en se bornant à constater sa place et son rôle sur les cartes géographiques.

Ailleurs, parmi les esprits qui doutent et qui cherchent, quelles épreuves douloureuses, quels pénibles tâtonnemens avant de saisir le fil qui doit les sauver ! quels flots tumultueux, quelles vagues furieuses à dompter, avant de voguer à pleines voiles et de creuser un sillon lumineux et paisible !

Je ne sais pas si l’histoire, qui, de siècle en siècle, est remise en question, controversée, réduite en cendres, puis reconstruite sur nouveaux frais, pour se disperser, cinquante ans plus tard, en de nouvelles ruines, je ne sais pas si cette grande école des peuples et des rois, comme on la nomme en Sorbonne, doit un jour réaliser les utopies du bon abbé de Saint-Pierre, et nous donner la paix perpétuelle ; si désormais la lecture assidue d’Hérodote et de Salluste doit suffire à terminer les révolutions à l’amiable : ma conviction à cet égard est encore, je l’avoue, très incomplète. Mais je vois dans l’histoire un symbole impérissable de souffrance et de résignation, un conseil impérieux pour l’avenir, quel qu’il soit, encore plus pour l’homme que pour les peuples : l’âme se console et se rassérène au spectacle des tristesses qui ont précédé la sienne, et qui ont trouvé dans la persévérance un dénoûment et une expiation.

Et ainsi je ne lis jamais sans attendrissement un des livres les plus savans de l’Angleterre, la vie des poètes anglais par Samuel Johnson. Je lui pardonne volontiers son pédantisme