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BATAILLE DE LA TABLADA.

attendant l’apparition des gladiateurs dans le cirque, de longues files d’éclairs brillèrent dans la plaine, et le bruit de la fusillade se fit entendre, mêlé à celui de l’artillerie. Il n’en est pas de ces combats comme de nos batailles, où ces deux armes seules décident ordinairement de la victoire. L’infanterie ne joue, le plus souvent, dans l’Amérique du Sud, qu’un rôle secondaire. Les gauchos, accoutumés dès l’enfance au combat du couteau, avec lequel ils vident toutes leurs querelles particulières, bravent sans crainte l’arme blanche, mais éprouvent une répugnance mécanique pour le feu. Les deux armées étaient si proches de nous, qu’à l’aide d’une longue vue nous distinguions chacun des hommes qui la composaient. La fusillade diminua promptement, et, au milieu de la fumée, qui se dissipait avec lenteur, nous vîmes les escadrons se charger avec fureur. Quiroga avait opposé ses meilleurs hommes aux cuirassiers de Paz, et sept fois leurs charges vinrent se briser contre eux, en couvrant la terre de morts. À mesure qu’un détachement échouait dans ses attaques, il se retirait en désordre derrière les derniers rangs, et un autre prenait sa place. Le reste attaquait avec le même acharnement les Tucumanos, qui, moins aguerris, tantôt gagnaient du terrain, tantôt reculaient en désordre et revenaient au combat, après avoir rétabli leurs rangs. Cette lutte sanglante durait depuis deux heures, et rien n’annonçait encore à quel parti demeurerait la victoire. La nuit arriva sans séparer les combattans. Nous nous perdions en conjectures sur l’issue de l’affaire, lorsque, vers les deux heures du matin, au milieu d’une obscurité profonde, nous entendîmes les pas précipités d’une troupe qui se rendait à la place. Peu après, elle repassa plus nombreuse, et accompagnée d’un bruit sourd que nous reconnûmes pour être celui de l’artillerie : c’était une partie de l’armée fédérale qui, vaincue, venait se rallier dans la ville et chercher les pièces qui la défendaient. Au point du jour, nous fûmes réveillés par un coup de canon, suivi d’une fusillade plus vive que la veille. Le combat venait de recommencer. Bientôt l’herbe desséchée de la plaine prit feu au milieu des combattans, et d’épais tourbillons de fumée les enveloppèrent. Après deux heures,