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BATAILLE DE LA TABLADA.

la mort, et dont la fin tragique a fait oublier les erreurs, le malheureux Dorrego. Moins nombreux que leurs rivaux dans Buenos-Ayres même, ils possédaient une bien autre influence dans la campagne et les provinces de l’intérieur. Plus attachés aux vieilles coutumes du pays, ne dissimulant pas leur haine envers les étrangers, ils avaient plu par là et par leur allure plus populaire aux gauchos, dont un des traits caractéristiques est une répugnance prononcée pour tout ce qui n’est pas fils du pays, hijo del pais, suivant leur expression énergique. Le clergé, à l’influence duquel Rivadavia avait porté un coup mortel, employait celle qui lui restait en leur faveur, à l’exception d’un petit nombre de ses membres. En outre, les gouverneurs des provinces, élevés la plupart à ce poste par une usurpation plus ou moins couverte, prévoyaient dans l’avenir la chute de leur pouvoir, si la centralisation[1] venait à s’opérer, et cherchaient à l’empêcher par des moyens qui allaient jusqu’à la révolte contre le congrès qui discutait alors la forme définitive de gouvernement à donner à la république. La guerre avec le Brésil était à cette époque dans toute sa vigueur, et cette assemblée, du lieu où elle tenait ses séances, pouvait entendre le canon de l’escadre brésilienne qui bloquait la rade, et dont les bâtimens croisaient sans cesse à l’horizon. Après de longues et orageuses discussions, les unitaires l’emportèrent à une assez forte majorité, et la nouvelle constitution parut au jour, portant en substance l’établissement d’un congrès permanent dépositaire du pouvoir législatif, celui d’un président chargé du pouvoir exécutif avec faculté de nommer les gouverneurs des provinces, et enfin la création dans chacune de celles-ci d’une chambre de représentans chargée de la confection des lois de nécessité purement locale.

  1. Ce mot de centralisation n’exprime pas ici un état de choses pareil à celui dont la France subit en ce moment les conséquences. La province de Buenos-Ayres n’avait pas la prétention de régler les intérêts du dernier hameau de la république. Elle voulait seulement donner à celle-ci l’unité politique qui lui manquait.