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REVUE DES DEUX MONDES.

— Oh ! reprit-elle, ça n’est rien jusqu’ici. Dieu veuille que toute la course se passe ainsi.

Et en même temps la chaise de Piedad fit aussi un léger mouvement qui ne l’éloigna pas de la mienne. — Je la regardai. Elle rougit et je rougis comme elle.

Et mes yeux se baissèrent comme les siens et se tournèrent de nouveau vers l’arène.


VI.

À ce moment, un jeune homme, revêtu du costume de majo, s’élança légèrement du tendido dans la place, et, courant s’agenouiller devant la loge du corregidor, demanda la permission de piquer une paire de banderillas dans le cou du taureau. De pareilles requêtes sont fréquentes, et il y est fait droit d’ordinaire sans difficulté. L’autorisation s’accorde d’ailleurs aux risques et périls de l’aficionado. Tant pis pour lui s’il ne vient point avec assez d’adresse et d’expérience pour soutenir la lutte dangereuse à laquelle il s’expose.

On remit au jeune homme une paire de banderillas. S’avançant soudain du côté du taureau, lorsqu’il fut à une trentaine de pas de lui, il leva les bras en l’air, défiant son ennemi de la voix et du geste, épiant l’instant où celui-ci baisserait la tête, pour courir lui enfoncer ses flèches dans le cou. Mais le taureau ne se livra pas ainsi. Prenant l’avance sur son adversaire, il s’élança vers lui avec une incroyable rapidité. Le jeune homme s’était laissé enlever l’avantage, il ne lui restait plus assez de temps ni d’espace pour prendre aussi son élan ; il ne pouvait donc plus attaquer, et comme armes défensives, ses banderillas ne lui suffisaient point : aussi, les jetant à terre, songea-t-il d’abord à fuir ; mais s’étant retourné, il vit bien qu’il se trouvait beaucoup trop loin de la barrière pour l’atteindre à temps et s’y mettre à l’abri. Il fit donc volte-face, et s’imaginant sans doute