Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
UNE COURSE DE NOVILLOS.

laquelle je tirais mes gants et j’examinais mon chapeau, trahissait, sans doute, une intention de départ. J’étais assis au coin de la cheminée vis-à-vis de la marquise. Je crus lire dans ses yeux qu’elle avait pénétré mon projet, et qu’elle me saurait gré de ne pas l’exécuter. — Ce n’était pas là vraiment de la fatuité, car sans avoir jamais osé, sans avoir pu jamais le lui dire, j’aimais Piedad de toutes les forces de mon âme, je l’aimais trop pour qu’elle ne l’eût pas compris, pour qu’elle ne m’aimât pas elle-même un peu. — Je suspendis donc mes préparatifs de retraite. Je demeurai.

La conversation se traînait lourde et insignifiante depuis plus d’une heure à travers tous les lieux communs imaginables, lorsqu’elle finit par tomber, je ne sais comment, sur les courses de taureaux. C’était un texte favori, un thème inépuisable pour le marquis, vrai grand d’Espagne de la vieille souche, intrépide fumeur, qui n’aimait rien tant au monde, après les cigares du roi, que les courses de taureaux. Une fois mis sur ce chapitre qui convenait surtout à son éloquence, le marquis, jusque-là sombre et taciturne, s’échauffa vite et fit mille curieux récits des innombrables courses auxquelles il avait assisté ou pris part lui-même, conta mille précieuses anecdotes concernant Romero, Pepe-Yllo, et d’autres célèbres toreros dont l’Espagne a gardé le souvenir.

Tandis que le marquis parlait, le comte qui passait pour l’amateur de taureaux le plus éclairé du corps diplomatique, était tout oreilles, et semblait suspendre son intelligence entière aux lèvres de l’orateur.

Quant à moi, je le confesse avec sincérité, j’avais des distractions, j’écoutais à peine. Nouveau venu comme je l’étais à Madrid, assurément, j’avais grand tort de ne pas mieux profiter de cette excellente occasion de m’instruire. Il ne faut pourtant pas me reprocher trop sévèrement mon inattention et mon insouciance. La marquise n’était-elle pas là devant moi, moins attentive encore peut-être, languissamment assise, les bras croisés, au fond de sa bergère, ses jolis petits pieds chaussés de bas de soie blancs à jour et de souliers de satin