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STATUE DE LA REINE NANTECHILD.

sément le corps à travers les vêtemens. Il est de proportions parfaites, mais grêle et comme amoindri par la méditation et la prière. D’ailleurs, il faut le dire et redire, la beauté chrétienne n’est pas la beauté païenne. Le développement des épaules et de la poitrine, ces signes caractéristiques de la force dans le sens le plus physique, ne sont pas les attributs de la sainteté. Qui n’a étudié que la statuaire antique n’est pas suffisamment préparé pour comprendre la statuaire du moyen-âge. Dans l’une la forme est tout ; dans l’autre il y a la forme et la pensée. À la première vue nous sommes frappés de la beauté d’une statue grecque ; mais un examen prolongé augmente rarement la vivacité de la première impression. Une statue chrétienne, au contraire, nous frappe peu d’abord ; mais elle nous charme et nous subjugue davantage, à mesure que nous la contemplons plus long-temps. Dans la statuaire de l’antiquité les sens parlent aux sens ; dans la sculpture moderne, c’est un dialogue, pour ainsi dire, entre les sens et l’esprit. La statuaire grecque produit en nous un sentiment très pur, le sentiment du beau, mais du beau physique ; la statuaire chrétienne développe le sentiment du beau physique et du beau moral, et plutôt le dernier que le premier. L’âme et les pensées de Nantechild, c’est là ce qui nous ravit et nous paraît plus beau que sa personne.

Tout en s’affranchissant des liens hiératiques, la statuaire, au treizième siècle, conserva religieusement la pureté des types. Les artistes ne s’étaient réunis en corporations et soumis à une hiérarchie sévère et presque cléricale, que pour assurer la transmission de ce qu’il y avait de véritablement sacré dans les traditions. Quel statuaire insensé eût osé, dans ce temps de foi, altérer l’admirable type du Christ ou celui de la Vierge ? Quel peintre sur verre ou à fresque se fût avisé de s’écarter du caractère de tête consacré pour chaque apôtre et pour chaque saint de l’ancien ou du nouveau Testament ? Qui même, dans la peinture des églises, car toute église au moyen-âge était peinte et dorée du haut en bas, et chacune de ses parties était distinguée par une couleur vive et tranchée, eût osé intervertir l’ordre canonique des couleurs, et mêler des nuances profanes.