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Mais cette sorte de renaissance, produite par le génie d’un seul homme, ne devait pas lui survivre. L’Allemagne et l’Italie, en reprenant leur marche à part, cessèrent de nous entraîner à leur suite. Les invasions normandes, peut-être aussi l’accession en masse de la race franque aux dignités ecclésiastiques, généralement exercées jusque-là par les Gaulois, depuis plus long-temps civilisés, suspendirent tous les progrès. Ce n’est pas tout. Vers le milieu du dixième siècle, il se répandit dans la plupart des royaumes chrétiens une idée funeste : on se prit à croire, d’après l’Apocalypse, que la fin du monde était voisine ; le genre humain ne devait pas survivre à l’an 1000. Un découragement général s’empara des peuples et s’étendit jusqu’aux clercs ; l’entretien des églises, des abbayes, des presbytères, fut négligé. On ne répara ni les palais, ni les chaussées, ni les édifices d’aucune espèce. Le clergé, qui recevait d’immenses aumônes, ne donnait aucun emploi à ses trésors ; comme sur un vaisseau qui va couler bas, le silence et la prière avaient remplacé la manœuvre et le travail. Aussi ce tremblant dixième siècle est-il l’époque de la plus profonde barbarie.

Mais quand le jour prédit fut passé, quand le danger du terrible cataclysme fut évanoui, alors on se remit à l’œuvre ; on voulut regagner le temps perdu ; une ardeur sans exemple transporta la société chrétienne. C’est du commencement du onzième siècle que date chez nous la vraie constitution féodale et catholique qui dura deux siècles, et fut un progrès social en amenant la conversion de l’esclavage en servage. Pendant cette période, l’art devint de plus en plus sacerdotal, et la fin du douzième siècle fut à-la-fois le terme et l’apogée de l’époque hiératique.

Le délabrement des édifices et l’accumulation des richesses entre les mains du clergé ne suffiraient pas pour expliquer cette fièvre architecturale qui s’empara de toute l’Europe au onzième siècle. À cette cause matérielle, il faut joindre un redoublement d’exaltation religieuse, c’est-à-dire, d’amour de l’art. Cette exaltation multiplia les pèlerinages et conduisit tous les clercs, au moins une fois en leur vie, les uns, au-delà des Alpes,