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STATUE DE LA REINE NANTECHILD.

d’aiguilles, de tours, de flèches, de clochers, de clochetons, le tout revêtu de fines découpures et de dentelles ; en un mot, la France passa sans transition de l’art romain le plus nu, le plus carré, le plus uniforme, à l’art moderne, le plus paré, le plus compliqué, le plus aigu, le plus féerique, à l’art enfin des xiiie, xive et xve siècles.

Cette mode, d’ailleurs fort innocente, repose-t-elle sur quelque chose de plus solide que le besoin naturel de changement ? Un plus profond sentiment de nationalité nous a-t-il repris après 1815 et nous a-t-il inspiré un soudain et patriotique retour vers nos origines ? Ou bien serait-ce que la pensée intime sur laquelle repose l’art chrétien, plus approfondie et mieux comprise, nous aurait ouvert tout-à-coup les yeux sur des beautés plastiques de premier ordre et pour lesquelles, depuis la renaissance, nous étions devenus aveugles ? Je ne sais. Dans tous les cas, la belle statue de la reine Nantechild, femme de Dagobert, moulée récemment avec toute la perfection desirable par les soins de M. Daniel Ramée, nous apprendra ce qu’il nous faut penser de cette révolution. Nous verrons par l’accueil que cette statue recevra si, dans notre passion pour le gothique, il y a eu engouement puéril ou sentiment réel de l’art moderne. Jusqu’ici pas un seul de ces chefs-d’œuvre chrétiens, couchés sur des tombeaux dans les cryptes de nos basiliques, ou debout dans les niches des portails de nos cathédrales, n’avait encore pu prendre place dans nos musées, dans nos écoles de dessin, dans l’atelier de nos artistes. Enfin voici pour les vrais amateurs du moyen âge, s’il y en a, une occasion d’avoir dans leurs cabinets d’étude du gothique de bon aloi ; et franchement, à voir ce que la plupart de nos peintres, de nos poètes, de nos romanciers, de nos sculpteurs, nous donnent journellement pour tel, on peut dire que, parmi ceux qui exploitent le plus habituellement ce genre, il y en a qui auraient grand besoin de l’étudier. En effet, à part quelques écrivains hors de ligne, tels que MM. de Chateaubriand et Victor Hugo, et quelques artistes qui, au mérite de la composition, joignent une connaissance réelle des monumens, MM. Delacroix, Saint-Eve, Mlle  de Fauveau et un bien