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ne pus me délivrer de mon homme qu’après qu’il eut lampé quelques bouteilles de claret, qui étaient devant moi, et goûté de tout le dessert que put livrer l’hôtel ; enfin il prit congé, en m’emportant la promesse positive d’honorer de ma présence le bal du lendemain ; mais, comme en ce moment je me soucie peu de la société et des nouvelles connaissances, je lui fis faux-bond, et je quittai Cheltenham de grand matin. La contrée est toujours agréable au dernier point, couverte de plaines de verdure et de groupes d’arbres verts et profonds, avec un horizon couronné de montagnes qui deviennent de plus en plus distinctes. Presqu’à chaque station, on trouve une ville considérable, à laquelle ne manquent jamais de hautes églises gothiques, dont les flèches dentelées s’élèvent dans les airs. La charmante situation de la ville de Tewksbury me plut beaucoup. Rien n’est plus paisible, rien n’est plus idyllien, et cependant toutes ces plaines fleuries sont les sanglans champs de bataille du temps des innombrables guerres civiles anglaises, d’où elles ont conservé les noms, si singuliers dans ce siècle, de lieu de sang, de champ de carnage et d’ossuaire.

Worcester, d’où je t’écris dans ce moment, capitale du comté, offre peu de choses remarquables, excepté sa magnifique cathédrale. Le petit nombre de peintures sur verre qui restent encore dans l’église ont été restaurées avec de nouveaux vitraux, qui jurent fort durement avec la suavité et l’éclat des anciennes couleurs. Au milieu du vaisseau est enterré King John. Son image est sculptée en pierre sur son tombeau. C’est le plus vieux monument funéraire d’un roi anglais dans la Grande-Bretagne. Il y a quelques années, on ouvrit le cercueil et on y trouva le squelette encore bien conservé, et tout-à-fait dans le costume que porte le roi sur le monument. Au premier contact de l’air extérieur, les vêtemens tombèrent en poussière. L’épée avait été dès long-temps dévorée par la rouille, et la poignée seule était reconnaissable. Un autre monument, tout-à-fait remarquable, est celui d’un templier, mort en l’an 1220, avec cette inscription normande : Ici aist syr Guilleaume de Harcourt fis Robert de Harcourt et de Isabel de Camville. La figure du chevalier (qui est, soit dit en passant, dans un autre costume que celui du comte Brühl, le templier, à Berlin), la figure est admirablement travaillée et gît là avec un naturel et un abandon qui ne dépareraient pas une statue antique. Le costume consiste en bottes ou en bas, comme