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ges qu’il fit dans des contrées inconnues. Un de ses amis qu’il aimait beaucoup, M. Barnett, l’accompagna dans ses excursions.

Il avait déjà parcouru plusieurs parties du monde, lorsque, en 1790, mon domestique de place Tournier l’accompagna en Suisse en qualité de valet de chambre, à son dire du moins. Arrivé à Shaffhouse, le lord eut la malheureuse idée de descendre la chute du Rhin dans un canot. Un ecclésiastique de l’endroit et beaucoup d’autres gens supplièrent le jeune étourdi de se désister d’une aussi folle entreprise. On voulut même employer les soldats de la ville pour l’en empêcher, mais il paraît qu’il trompa leur surveillance. Bref, après avoir envoyé auparavant un canot vide en avant-coureur, pour lui servir d’épreuve, et qui sauva heureusement sa vie de bois, il le suivit lui-même en compagnie de son ami. M. Barnett avait, il est vrai, employé toute son éloquence à détourner l’entêté lord de sa résolution ; mais lorsque celui-ci s’écria : « Quoi ! Barnett, tu as parcouru le monde entier avec moi, tu as loyalement soutenu tous les dangers, et tu veux m’abandonner maintenant pour un enfantillage ! » Alors Barnett se rendit en haussant les épaules, et se plaça dans l’aventureuse barque.

Ils voguèrent d’abord doucement et lentement, puis avec une rapidité toujours croissante, tandis que des milliers de spectateurs contemplaient en tremblant ce trajet hasardeux. Ce que chacun avait prévu arriva. La barque toucha la pointe des récifs et chavira. Les deux passagers reparurent encore une fois entre les rochers, et le roulement des vagues étouffa leurs cris qu’on entendit encore par intervalles. Bientôt ils disparurent entièrement ; et, quoique pendant des mois entiers, et sans épargner les dépenses, on fît chercher leurs corps jusqu’à l’embouchure du Rhin en Hollande, en promettant de grosses sommes à qui les retrouverait, on n’entendit plus parler d’eux. Ils dorment inconnus dans les profondeurs des eaux.

Il est singulier que le même jour qui vit leur mort, le château héréditaire des Montague, dans le Sussex, brûla de fond en comble. La malheureuse mère ne survécut que d’un an à la mort de son fils, perdu pour la seconde fois, et cette fois d’une manière irréparable.