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LE PECORONE.

pensé que ce petit accident s’était présenté déjà plusieurs fois depuis la maladie de sa femme, remonta lui-même à sa chambre, et alla se remettre au lit. Cependant plusieurs servantes étaient restées près de Nicolossa, mais après quelques instants, celle-ci ayant assuré qu’elle se sentait mieux, elle leur donna congé en disant : Je ne veux pas que vous passiez une mauvaise nuit. Une camériste et la servante restèrent seules avec elle, alors elle se leva, fit prendre des draps blancs, ordonna qu’on refit son lit, et quand tout fut à son gré, elle renvoya les deux femmes et ferma la porte de la chambre. Bientôt elle alluma un petit flambeau, et alla vers la baignoire, où elle trouva Buondelmonte à moitié mort ; car elle l’appela et il ne répondit mot. Elle le prit d’abord dans ses bras, puis se mit dans le bain avec lui en l’embrassant : Mon cher Buondelmonte, dit-elle, je suis ta Nicolossa, pourquoi ne me dis-tu rien ? Puis elle le fit sortir du bain, l’entraîna dans son lit, et tout en le réchauffant, elle lui répéta plusieurs fois : Je suis ta chère Nicolossa, celle que tu as désirée si long-temps, maintenant je t’appartiens, je suis à toi, tu peux faire de moi tout ce que tu voudras. Mais pour lui, il était si complètement glacé, qu’il ne pouvait parler. C’est pourquoi la dame prit la résolution d’aller ouvrir l’armoire, d’en tirer les vêtemens et les armes de Buondelmonte qu’il revêtit. En prenant congé de la dame, il lui dit : Arrangez-vous avec Dieu, car vous m’en avez donné une bonne. Cela dit, il retourna à sa maison, où il demeura plus d’un mois à cause de la grande peur qu’il avait eue, ce qui ne tarda pas à faire causer les dames de la ville, sans qu’on sût précisément comment et à qui cet accident était arrivé. Cependant le bruit courait qu’une dame avait fait donner un sien amant dans le panneau, et bientôt la nouvelle s’en répandit dans tout Florence. Buondelmonte, qui l’entendit conter, eut plus d’une fois l’occasion de faire croire que cette aventure lui était tout-à-fait étrangère. Il restait coi, attendant le moment.

Or, il arriva vers ce temps que la paix se rétablit entre les familles ennemies dans Florence, qu’elles s’unirent fraternellement, et en particulier celles des Buondelmonte et des Acciaioli,