Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.
83
CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

à-coup Robespierre prit une petite clochette sur son bureau et sonna vivement. Un nègre entra et introduisit un homme âgé qui, à peine laissé dans la chambre, resta saisi d’étonnement et d’effroi.

— Voici encore quelqu’un de votre connaissance, dit Robespierre, je vous ai préparé à tous une petite entrevue.

C’était M. de Chénier en présence de son fils. Je frémis de tout mon corps. Le père recula. Le fils baissa les yeux, puis me regarda. Robespierre riait. Saint-Just le regardait pour deviner.

Ce fut le vieillard qui rompit le silence le premier. Tout dépendait de lui, et personne ne pouvait plus le faire taire ou le faire parler. Nous attendîmes, comme on attend un coup de hache.

Il s’avança avec dignité vers son fils :

— Il y a long-temps que je ne vous ai vu, monsieur, dit-il ; je vous fais l’honneur de croire que vous venez pour le même motif que moi.

Ce Joseph si hautain, si grand, si fort, si farouche, était ployé en deux par la contrainte et la douleur.

— Mon père, dit-il lentement en pesant sur chaque syllabe, mon dieu, mon père ! avez-vous bien réfléchi à ce que vous allez dire ?

Le père ouvrit la bouche, le fils se hâta de parler haut pour étouffer sa voix.

— Je sais… je devine… à-peu-près… à peu de chose près l’affaire…

Et se tournant vers Robespierre en souriant :

— Affaire bien légère, futile en vérité…

Et à son père,

— Dont vous voulez parler. Mais je crois que vous auriez pu me la remettre entre les mains. Je suis député… moi… Je sais…

— Monsieur, je sais ce que vous êtes, dit M. de Chénier…

— Non, en vérité, dit Joseph en s’approchant, vous n’en savez rien, absolument rien. Il y a si long-temps, citovens, qu’il n’a voulu me voir, mon pauvre père. Il ne sait seulement pas ce