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On n’entendait sortir aucune voix de cette maison. Elle semblait aveugle et muette.

Des groupes de femmes, causant devant les portes, comme toujours à Paris en temps de troubles, se montraient de loin cette maison et se parlaient à l’oreille. De temps à autre, la porte s’ouvrait pour laisser sortir un gendarme, un sans-culotte ou un espion (souvent femelle). Alors les groupes se séparaient et les parleurs rentraient vite chez eux. Les voitures faisaient un demi-cercle et passaient au pas devant la porte. On avait jeté de la paille sur le pavé. On eût dit que la peste y était.

Aussitôt que j’eus posé la main sur le marteau, la porte fut ouverte et le portier accourut avec frayeur, craignant que son marteau n’eût retombé trop lourdement. Il referma la porte lentement et avec précaution. Je lui demandai sur-le-champ s’il n’était pas venu un vieillard de telle et telle façon, décrivant M. de Chénier de mon mieux. Le portier prit une figure de marbre, avec une promptitude de comédien. Il secoua la tête négativement.

— Je n’ai pas vu ça, me dit-il.

J’insistai ; je lui dis : Souvenez-vous bien de tous ceux qui sont venus ce matin. — Je le pressai, je l’interrogeai, je le retournai en tous sens.

— Je n’ai pas vu ça.

Voilà tout ce que j’en pus tirer. Un petit garçon déguenillé se cachait derrière lui et s’amusait à jeter des cailloux sur mes bas de soie. Je reconnus celui qu’on m’avait envoyé à son air méchant. Je montai chez l’incorruptible par un escalier assez obscur. Les clefs étaient sur toutes les portes, on allait de chambre en chambre sans trouver personne. Dans la quatrième seulement, deux nègres assis et deux secrétaires écrivant éternellement sans lever la tête. Je jetai un coup-d’œil, en passant, sur leurs tables. Il y avait là terriblement de listes nominales. Cela me fit mal à la plante des pieds, comme la vue du sang et le bruit des chariots.

Je fus introduit en silence, après avoir marché silencieusement sur un tapis silencieux aussi, quoique fort usé.