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MŒURS DES AMÉRICAINS.

en Virginie, une preuve frappante de l’horreur que cette terrible destination inspire aux nègres. Le père d’un jeune esclave qui appartenait à la dame chez qui je logeais, fut condamné par son maître à ce funeste sort. Une heure après l’avoir appris, il aiguisa la hache avec laquelle il fendait du bois, et avec sa main droite il se coupa la gauche d’un seul coup.

« Les effets de l’esclavage sur les mœurs de la nation sont extrêmement fâcheux. Le même homme qui vient de braver son voisin plus riche et mieux élevé que lui, avec la phrase superbe : « Je vaux autant que vous, » se tourne vers son esclave, et l’étend d’un coup à ses pieds, si le sillon qu’il a creusé ou la bûche qu’il a fendue ne plaît pas à ce champion de l’égalité. Il y a dans les principes d’un tel homme une fausseté sans pudeur qui révolte. Ce n’est point dans les plus hautes classes que l’esclavage produit les pires effets. Les hommes des classes inférieures, presque toujours aussi ignorans que leurs nègres, résistent infiniment moins à l’action démoralisante de ce pouvoir absolu qui leur est donné sur des esclaves mâles et femelles. L’autorité grossière, pour ne pas dire barbare qu’ils exercent, est le spectacle moral le plus dégoûtant que j’aie vu. Je dois le dire cependant, aucun rang n’échappe à l’influence de ces relations du maître et de l’esclave. Partout elle paralyse les plus nobles et les meilleurs sentimens du cœur humain. Le caractère et l’âme des enfans en reçoivent une empreinte ineffaçable. Pendant mon séjour en Virginie, j’ai vécu quelques semaines dans le sein d’une famille composée d’une veuve et de ses quatre filles. Un jour une petite esclave de huit ans, ayant trouvé un biscuit bien beurré, ne put résister à la tentation, et elle en avait mangé la moitié avant qu’on ne s’en aperçût ; ce biscuit avait été imprudemment mis là pour les rats, et le beurre était saupoudré d’arsenic. La maîtresse de la maison accourut à moi pour savoir ce qu’il fallait faire ; je délayai, de suite, de la moutarde dans de l’eau, et je fis avaler à la petite esclave ce plus puissant des vomitifs ; il produisit immédiatement son effet, mais la violence du remède et la terreur excitée en elle par une douzaine de voix qui criaient qu’elle était perdue, causèrent un si grand tremble-