Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/710

Cette page a été validée par deux contributeurs.
704
REVUE DES DEUX MONDES.

l’esclavage est d’autant plus pénible en Amérique, qu’on y entend répéter plus souvent cette phrase philosophique, qui n’est qu’une amère dérision. « Tous les hommes naissent égaux et libres. » Ce n’est pas que la condition des esclaves domestiques soit généralement mauvaise ; mais enfin elle le serait, que ces malheureux devraient la subir et n’auraient aucun moyen d’y échapper. J’ai été témoin des soins qu’on prend de la santé des esclaves, mais je n’ai pu oublier que ces soins avaient pour résultat la conservation d’une propriété. Les esclaves le savent aussi, et il en résulte qu’ils éprouvent rarement une affection vraie pour leurs maîtres. On dit que les esclaves qui naissent dans le sein d’une famille, s’attachent aux enfans blancs avec lesquels ils sont élevés : cela peut arriver lorsque les actes de tyrannie des petits blancs ne sont point poussés assez loin pour détruire les effets naturels d’une éducation commune ; mais dans tous les cas cet attachement ne peut durer qu’à une condition, c’est que l’esclave soit maintenu dans cet état de profonde ignorance qui exclut la réflexion. La loi y a pourvu dans l’état de Virginie. Elle attache une peine à l’action d’apprendre à lire à un esclave, et une autre peine à la complicité d’un pareil acte. Cette loi en dit plus que des volumes. Généralement parlant, les esclaves domestiques sont passablement nourris et vêtus ; ils sont mal logés, mais ils n’y tiennent pas. Il est rare qu’on les fouette, et on les soigne bien quand ils sont malades. Voilà le bon côté de leur situation. — Le mauvais, c’est qu’on peut les expédier pour le sud, et les y vendre. C’est la crainte qui préoccupe tous les esclaves au nord de la Louisiane ; les plantations de sucre, et surtout les risières de la Géorgie et des Carolines, sont la terreur des nègres de l’Amérique, et à juste titre, car des milliers d’esclaves y trouvent la mort, et pour éviter de perdre, les maîtres se pressent, avant que la fièvre ne les tue, de tirer de leur travail le prix qu’ils ont coûté.

« Le système d’élever des nègres dans les états du nord, pour les vendre quand ils sont grands sur les marchés du sud, blesse douloureusement tous les sentimens de justice et d’humanité que Dieu a mis dans le cœur des hommes. J’eus, pendant mon séjour