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MŒURS DES AMÉRICAINS.

« Mon mari et mes deux fils se joignirent au groupe de citoyens qui suivirent le président à l’hôtel, et ils lui furent présentés en forme, c’est-à-dire qu’ils furent admis à échanger avec lui une poignée de main. Ils s’embarquèrent sur le même bateau à vapeur qui le portait. J’appris par leurs lettres qu’ils avaient souvent causé avec lui durant le voyage, et qu’ils avaient été charmés de sa conversation et de ses manières ; mais en même temps ils avaient été profondément choqués de la brutale familiarité à laquelle ils l’avaient vu exposé dans tous les lieux où ils avaient mis pied à terre. Je ne résiste point à la tentation de citer un passage de cette correspondance ; il suffira pour faire connaître des habitudes si contraires à nos sentimens européens.

« Il n’y avait pas si lourd marinier de l’avant, qui ne fût introduit auprès du président quand il le voulait, à moins qu’il ne préférât s’introduire tout seul, ce qui arrivait à quelques-uns. J’étais un jour à côté de lui, lorsqu’un sale compagnon l’aborda par ces mots :

— C’est le général Jackson, je crois ?

Le général s’inclina en signe d’assentiment.

— Ils m’avaient dit que vous étiez mort !

— Non ! la Providence m’a jusqu’ici conservé la vie.

— Et votre femme vit-elle encore ?

« Le général parut frappé au cœur et fit un signe négatif. Sur quoi le courtisan conclut sa harangue, en disant : « Ah ! il me semblait bien que c’était l’un de vous deux qui était mort. »


Toute réflexion sur de pareils faits serait superflue. Ils parlent assez d’eux-mêmes. On entretient avec un soin jaloux le sentiment d’égalité en Amérique ; on l’inculque de bonne heure dans l’esprit des enfans : en voici la preuve.

Il y avait à Cincinnati, à l’époque où mistress Trollope y arriva, un maître de dessin allemand. Un peintre anglais, M. H…, qui avait suivi miss Wright en Amérique, lui ayant fait voir quelques-unes de ses esquisses, le bon Allemand en fut si enchanté, qu’il lui offrit généreusement de partager avec lui la direction et les bénéfices de son école.