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MŒURS DES AMÉRICAINS.

de famille doive toujours caresser la bouteille, mais je dis que j’aimerais mieux que mon fils s’enivrât trois fois par semaine que de le voir ne pas prendre souci des affaires de son pays. »


Voici un autre trait que cette conversation me rappelle et m’engage à citer.


« Notre petite maison de campagne avait un grand portique, dont l’ombre de plusieurs beaux accacias faisait une délicieuse chambre de repos. Nous y étions un jour, lorsque nous aperçûmes dans un champ, tout près, quelques travaux qui semblaient annoncer des projets de construction. Ces symptômes nous alarmèrent ; nous nous avançâmes vers les ouvriers, et nous leur demandâmes de quoi il s’agissait. « Il s’agit, nous dit l’un, d’un abattoir pour les cochons. » Il faut savoir que la quantité de cochons consommée en Amérique est immense, et que nous en voyions chaque jour de grands troupeaux se diriger vers la ville. Je fus donc fort effrayée de la nouvelle, et réfléchissant que le lieu choisi pour établir cette boucherie, était environné à peu de distance de différentes maisons appartenant à des personnes de distinction, je demandai à l’ouvrier si ces personnes ne s’y opposeraient point pour cause d’incommodité ? « Pour cause de quoi ? reprit-il avec étonnement. Je lui expliquai ce que je voulais dire. « Il n’y a pas de danger, mistress ; c’est bon pour un pays de tyrannie comme le vôtre, où l’on songe plus au nez d’un riche qu’à l’estomac d’un pauvre. Mais nous sommes trop libres nous, pour avoir une loi de cette espèce. »

« Une foule de petites circonstances semblables m’ont souvent rappelé, durant mon séjour en Amérique, la réponse que me fit un jour un vieux gentilhomme français à qui je parlais mal de la police et des gendarmes de son pays : « Croyez-moi, madame, il n’y a que ceux à qui ils ont à faire qui les trouvent de trop. » Le vieux gentilhomme avait raison. Les hommes que leurs propres sentimens de justice portent à ne point nuire aux autres,