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qui nous gagna le cœur à tous. Pour ma part, je crus que j’avais trouvé une seconde Jenny Deans ; car elle me racontait des histoires de sa première jeunesse, dans lesquelles, à travers une armée de belles-mères méchantes, de frères avides et d’amoureux infidèles, son bon sens et sa fermeté de caractère l’avaient sauvée de bien des écueils. Entre autres choses, elle me dit un jour, avec l’apparence d’une vive émotion, que, depuis son arrivée dans la ville, elle avait trouvé un remède pour tous ses chagrins. « Et quel remède, lui dis-je ? — La religion, reprit-elle, et que Dieu soit loué de m’avoir fait cette grâce. » Puis elle me demanda la permission d’aller à l’assemblée tous les mardis et les jeudis soirs. « Cela ne nuira en rien à ma besogne, mistress Troloppe, ajouta-t-elle ; car notre ministre sait que nous devons remplir nos devoirs envers l’homme aussi bien qu’envers Dieu, et c’est afin que les uns ne traversent pas les autres, qu’il tient l’assemblée le soir et si tard. » Qui aurait pu se refuser à une pareille demande ? Je consentis, et Nancy eut la permission d’aller à l’assemblée deux fois par semaine, outre le dimanche.

« Un soir que les moustiques avaient trouvé le chemin de ma chambre, et m’empêchaient de dormir, j’entendis quelqu’un entrer dans la maison fort tard ; je me levai, je gagnai le haut de l’escalier, et à la lumière de la lune, je reconnus Nancy coiffée de son plus beau bonnet. Je l’appelai. « Vous rentrez bien tard, lui dis-je ; pourquoi cela ? « Oh ! mistress Troloppe, me dit-elle, notre troupeau s’est augmenté cette nuit de dix-sept âmes ; aussi la séance a été longue et très chaude ; je vais bien vite boire un verre d’eau et me coucher ; vous verrez que demain je ne m’en lèverai pas une minute plus tard pour cela. » Elle tint parole ; elle était très bonne servante ; elle faisait toujours plus qu’on n’exigeait d’elle, sans compter qu’elle trouvait encore le temps de lire la Bible plusieurs fois par jour. Je la voyais rarement occupée à quelque chose sans remarquer le livre près d’elle.

« À la fin, elle fut attaquée du choléra, et sa vie fut en danger ; je lui donnai tous les soins possibles, et je passai deux nuits presque entières à son chevet. Elle avait des momens de délire.