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MŒURS DES AMÉRICAINS.

classes de la société, et des ennuis qui en résultent pour les autres.


« La plus grande difficulté d’un établissement dans l’Ohio est celle de trouver des domestiques, ou, comme on dit en Amérique, des gens qui vous aident ; car c’est presque un crime contre la république d’appeler domestique un citoyen libre. Toute la classe des jeunes filles qui ne peuvent gagner leur vie qu’en travaillant, est élevée dans l’idée que la plus abjecte pauvreté est préférable au service domestique. Des centaines de femmes à demi nues travaillent dans les moulins à papier ou dans toute autre manufacture, pour la moitié des gages qu’elles recevraient dans une maison ; mais elles pensent que la domesticité compromettrait leur égalité, et il n’y a guère que l’envie d’obtenir quelque article de toilette qui puisse les déterminer à s’y soumettre. Cependant un de mes amis se donna tant de mal pour me procurer une fille, qu’un matin j’en vis entrer une chez moi. C’était une grande et forte personne qui se présenta elle-même en me disant : Je viens pour vous aider. Cette nouvelle m’était trop agréable pour que je n’accueillisse pas bien celle qui me l’annonçait. Je lui demandai donc ce que je lui donnerais par an.

« Seigneur Dieu ! s’écria la demoiselle avec un gros rire, on voit bien que vous êtes une Anglaise. Sur ma foi, j’aimerais bien à voir une jeune demoiselle (lady) s’engager à l’année en Amérique ! J’espère bien trouver un mari avant peu de mois ; autrement je serais tout-à-fait une vieille fille, car j’ai déjà dix-sept ans ; et puis peut-être faudra-t-il que j’aille à l’école. Vous me donnerez un dollar et demi par semaine, et Philis, l’esclave de ma mère, viendra une fois par semaine de l’autre côté de l’eau, pour m’aider à nétoyer. »

« J’acceptai le marché avec une respectueuse soumission, et, voyant qu’elle se préparait à se mettre à l’ouvrage avec une robe jaune, parsemée de roses rouges, je lui dis doucement, que