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qu’un roi. Depuis, la raison publique, a fait des pas : elle est plus démocrate que jamais ; qu’on essaie de lui faire de l’aristocratie, et l’on verra ; mais parlez-lui de la république passée, montrez-lui la nouvelle frappant à la porte, elle hausse les épaules. Nous nous ferions tuer pour démocratiser l’Europe, et nous nous faisons tuer pour ne pas devenir républicains. Que signifie cela ? Nation héroïque, de grâce expliquez-vous ! Confiez votre secret à ces enfans que vous fouettez au collége s’ils n’acceptent pas vos principes, et que vous tuez dans la rue s’ils en soutiennent la conséquence ! Mais ce secret, la nation a, pour le garder, la meilleure des raisons : c’est qu’elle ne le sait pas elle-même. Bonne et naïve nation ! quand elle argumente avec les républicains, quand ils lui montrent la contradiction dans laquelle elle tombe, elle est toute étonnée ; elle ne trouve rien à répondre, elle demeure convaincue de sa propre sottise, elle se croit inconséquente : comme si les nations l’étaient jamais ! Non la France ne l’est pas. C’est parce qu’elle est tout-à-fait conséquente qu’elle a l’air de ne l’être pas ; c’est parce qu’elle l’est à ses habitudes comme à ses idées et à ses idées comme à ses habitudes. C’est en vertu de ses idées qu’elle a rayé l’aristocratie de sa constitution et qu’elle est démocrate ; c’est en vertu de ses habitudes qu’elle a trouvé la république ridicule et qu’elle est monarchique. Il est vrai que ses habitudes ne sont point en harmonie avec ses idées ; mais ce n’est ni sa faute, ni celle de personne. Outre que les mœurs ont plus de racines que les principes, on doit remarquer que la révolution des mœurs présupposant celle des principes, il faut que la seconde soit accomplie pour que l’autre commence : c’est pourquoi les idées sont toujours obligées d’attendre les habitudes, dans une révolution. La France employa le dix-huitième siècle tout entier à transformer ses idées ; mais durant ces cent années, rien ne fut modifié dans ses habitudes : Diderot et Voltaire, M. de Mirabeau et M. de Robespierre vivaient en aristocrates. Aussi quand les idées de la France eurent proclamé la république, ses habitudes épouvantées la brisèrent ; la logique exclusive fut écrasée par la logique complète. La réaction des habitudes créa l’empire, qui fut ren-