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MŒURS DES AMÉRICAINS.

livre n’exprime qu’une chose, l’antipathie profonde qui existe entre nos mœurs et les habitudes démocratiques. À ce titre, on ne saurait dire s’il nous en apprend plus sur les Américains que sur nous-mêmes ; car, s’il nous fait connaître l’esprit de leurs mœurs, il nous révèle en même temps celui des nôtres, que nous ne remarquons pas, et que nous ignorons profondément. Voyez plutôt ce qui nous arrive. Nous nous croyons des démocrates, parce que nous sommes en Europe les représentans du principe et des idées démocratiques. Ce rôle est beau : il a pour lui l’avenir, les idées contraires ayant gouverné le passé ; tôt ou tard, il placera la France à la tête de l’Europe. Considérez toutefois combien il s’en faut encore que nous soyons à la hauteur de notre mission et de nos idées. La république est la dernière conséquence, la conséquence rigoureuse du principe démocratique ; les têtes logiques, c’est-à-dire les jeunes têtes, le sentent ; et de temps en temps, à coups de fusil, dans les rues, elles somment la nation d’être conséquente. Comment la nation répond-elle à l’invitation ? À coups de fusil. Ce n’est pas tout : il y a trente ans, cette même nation, jeune alors et logique aussi parce qu’elle était jeune, échappée depuis trois ans à l’ancien régime, arriva tout droit, et par le plus court chemin, à la dernière conséquence des principes qu’elle venait de proclamer. Elle se mit en république. Comme en Amérique, tout fut électif, et tous furent électeurs. La souveraineté fut subdivisée en trente millions de parties, et chacun en prit sa part, les prolétaires comme les autres et plus que les autres. Quand tout le monde fut citoyen, quand tous les citoyens furent égaux, quand tous les égaux furent souverains, qu’arriva-t-il ? Que tout le monde se mit à trembler et à rire ; à trembler, parce qu’on coupait des têtes, ce qui ne tenait que fort indirectement au principe ; mais à rire, parce que cet état de choses, en lui-même et indépendamment de l’incident des têtes coupées, parut souverainement absurde et grotesque à la raison publique. Ce rire fut si franc, que nos théâtres en retentissent encore, si unanime, qu’on se dépêcha bien vite de casser la république, et pour se dédommager, de prendre un tyran, c’est-à-dire quelque chose de mieux