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EXCURSION AU BLOCKSBERG.

siècle, et ses pensées comme ses sensations s’étaient probablement identifiées à toutes les angulosités de ce poêle, à toutes les découpures bizarres de cette armoire. L’armoire et le poêle vivaient certainement, car une créature animée leur avait donné une partie de son âme !

C’est de cette contemplation solitaire de la vie qu’est née la poésie merveilleuse du nord, qui anime non pas seulement les animaux et les plantes, mais qui donne l’action à des objets entièrement inanimés. Cette révélation s’est faite, au fond des bois et sur les montagnes, à un peuple pensif et innocent. Ç’a été un doux mélange d’humeur fantastique et de pure et profonde philosophie. Des rêves d’enfant et des pensées d’homme, voilà nos légendes. Ici c’est l’épingle et l’aiguille qui s’échappent de l’auberge des tailleurs, et qui courent ensemble dans l’ombre ; là le brin de paille et la branche d’arbre qui chavirent en voulant témérairement traverser un ruisseau, ou la pelle et le balai qui se rencontrent sur l’escalier, qui se querellent et se culbutent ; ou bien le miroir, qu’on interroge et qui répond ; les gouttes de sang, qui se mettent à parler et qui prononcent de sombres et d’inquiètes paroles d’indignation et de pitié, poésie bizarre et puérile, qui annonce de fraîches et jeunes imaginations. — C’est ainsi que notre vie d’enfance est si infiniment significative. En un tel temps, tout nous importe également. Nous écoutons tout, nous voyons tout. Toutes nos impressions sont profondes, au lieu que plus tard nous devenons plus raisonneurs et moins extatiques, et alors nous échangeons l’or pur de la contemplation pour le papier-monnaie des définitions littéraires, et notre vie, en s’étendant, gagne en largeur tout ce qu’elle perd en profondeur. Alors aussi nous sommes des gens bien grands, des gens distingués ; nous habitons souvent des maisons nouvelles ; les servantes nettoient régulièrement et changent à leur gré la situation des meubles qui nous intéressent peu, car ils sont tout neufs, et ils appartiennent aujourd’hui à Jean, et demain à Pierre. Nos habits même nous sont étrangers. Nous savons à peine combien il y a de boutons à celui que nous portons sur le corps. Nous changeons ces habits aussi souvent que