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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

son amant, la vengeance de son père, les yeux s’emplissent de larmes, et la critique est désarmée.

Mais quand la lecture est achevée, quand on a fermé le livre et qu’on a mené à bout son émotion et sa tristesse, la raison reprend ses droits ; sans renoncer aux sentimens douloureux, aux poignantes sympathies qu’on a subies en assistant à la destinée d’Eugene Aram, on se demande si ce poème, malgré les nombreux mérites qui le distinguent, est assuré de vivre dans vingt ans, s’il renferme en lui-même les élémens indestructibles qui assurent aux marbres et aux bronzes de la vieille Grèce plusieurs siècles d’admiration. Involontairement on soumet son plaisir à l’analyse et à la réflexion ; on interroge l’histoire de l’art, on se laisse entraîner à de sérieuses comparaisons.

Peut-on croire, peut-on espérer que Pelham et Eugène Aram ne seront pas effacés de la mémoire des lecteurs d’Europe, long-temps avant Werther et Childe Harold ?

La question à mon avis ne saurait être douteuse.

Si je ne prends que le second et le sixième ouvrage de M. Bulwer, c’est qu’à mes yeux ils ont une importance très supérieure aux autres : Falkland n’est guère qu’une mosaïque de Byron et de René. L’exécution des détails est plus châtiée y mais la composition toute entière manque d’énergie et de portée. Pelham et Eugene Aram résument, quant à présent, les deux idées que M. Bulwer s’est proposé de mettre en lumière depuis quatre ans, la satire et le drame.

Or, il ne faut pas une attention bien sévère pour voir que ces deux livres sont écrits avec une facilité excessive. C’est le langage spirituel, rapide, mais diffus, d’un salon ou d’une promenade, c’est un récit de conversation, plutôt dit qu’écrit. La composition, dans le sens intellectuel et technique du mot, porte bien plus sur la charpente de la fable, que sur le style des chapitres et des pages. M. Bulwer s’occupe plutôt de tracer les lignes et l’épaisseur des murs de son édifice, que de surveiller l’architecture définitive, et surtout la sculpture extérieure, qui doit embellir un palais ou une cathédrale, comme l’or et les broderies un manteau ducal.