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vieux gouverneur, et qu’il se laissait complètement mener par elle. — Mais cela ne nous regarde point. En vérité, ce serait à nous mal séant d’examiner de trop près la vie privée de ces puissans de la terre.

Dès que l’on eut annoncé qu’un étranger suspect avait été surpris rôdant autour de la forteresse, et que dans la cour extérieure il attendait, sous la garde du caporal, que son excellence eût fait connaître ses ordres, le sein du gouverneur se gonfla de tout l’orgueil et de toute la majesté du pouvoir. Remettant son chocolat entre les mains de la modeste demoiselle de compagnie, il se fit apporter son épée à la poignée en corbeille, l’attacha à son côté, releva ses moustaches, se plaça convenablement dans son large fauteuil à immense dossier, et prenant un air farouche et rébarbatif, il ordonna que l’on conduisît en sa présence le prisonnier.

Le soldat fut amené, gardé de près encore par ceux qui l’avaient arrêté, et présenté par le caporal. La contenance du prisonnier avait toujours la même résolution et la même assurance, et il répondit au regard dur et inquisitif du gouverneur par ce certain regard louche dont nous avons parlé déjà, et qui parut ne plaire en aucune façon au vieil et pointilleux potentat.

— C’est bien, accusé, dit le gouverneur après l’avoir considéré silencieusement un instant, qu’avez-vous à dire en votre faveur ? — Qui êtes-vous ?

— Un soldat revenant de la guerre, et qui n’en a rapporté rien autre chose que des contusions et des cicatrices.

— Un soldat, — hum ! — un fantassin, à ce que je vois par votre costume. — Vous avez cependant un beau cheval arabe ; mais vous l’aurez aussi ramené de la guerre, je présume, indépendamment de vos contusions et de vos cicatrices.

— S’il plaisait à votre excellence de m’entendre, j’aurais quelque chose d’étrange et de merveilleux à raconter au sujet de ce cheval, quelque chose qui intéresse la sûreté du château, celle de tout Grenade. Mais c’est une communication que je ne puis faire qu’à votre excellence en particulier, ou du moins en présence seulement de ceux qu’elle admet à sa confidence.