Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/522

Cette page a été validée par deux contributeurs.
516
REVUE DES DEUX MONDES.

Cependant ces deux auteurs, que recommande un si réel et si incontestable talent, nous semblent, depuis quelque temps, s’être engagés dans une fausse voie, et se préparer, s’ils ne la quittent, plus d’un mécompte. Assurément ce qui leur a valu la célébrité dont ils jouissent, c’est bien moins l’originalité de la forme dans leurs ouvrages, que la nouveauté des mœurs qu’ils ont peintes d’abord, la nationalité des premiers sujets qu’ils ont traités.

À leurs débuts, ils avaient placé chez eux, dans leur propre pays, la scène de leurs drames. C’était une idée heureuse et intelligente. Aussi nous pressions-nous en foule à ces théâtres nouveaux qu’ils nous ouvraient : non point, parce qu’on y jouait comme sur les nôtres des comédies et des tragédies en trois ou cinq actes, mais parce que dans leurs pièces ils nous montraient, du moins, des décorations et des personnages que nous n’avions vus nulle part encore. Leurs livres nous plaisaient, surtout parce que nous y trouvions ce que nous cherchons si laborieusement, et ce que nous rencontrons si peu sur notre sol usé : — à savoir quelque coin inexploré de l’art ; quelque chose de neuf et d’inédit. Voici cependant qu’aujourd’hui, comme s’ils avaient complètement exploité les mines fécondes de leur jeune continent, ils viennent nous disputer les filons épuisés de celles de notre vieille Europe. Voici que tout en se promenant à travers l’Espagne et l’Italie, ils se mettent comme nous à faire leurs romans espagnols et italiens. En vérité, qu’ils y prennent garde, à courir ainsi par des chemins que nous avons si long-temps battus, ils courent grand risque de manquer leur but, et de se perdre dans la foule de nos romanciers ordinaires.

Ceci s’applique surtout au plus célèbre des deux écrivains dont nous venons de parler. Assurément Cooper ne serait point chez nous en bien grand crédit, s’il n’avait jamais appliqué le procédé de Walter Scott qu’à des histoires vénitiennes, comme la dernière qu’il a publiée ; mais dans des cadres imités de ceux de l’illustre Écossais, il a su renfermer des peintures dont la nature vierge de son Amérique lui a seule fourni le modèle. Il a fait assister notre société décrépite à la lutte obstinée et triom-