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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

au seul port où nous soyons sûrs d’arriver, et tous parlaient de leur traversée avec mépris et sans beaucoup de regrets, sans espoir non plus d’une vie meilleure, ou seulement d’une vie nouvelle ou d’une autre vie où l’on se sente vivre. Ils paraissaient s’en peu soucier. Aucune foi dans leurs inscriptions, aucun athéisme non plus ; mais quelques élans de passions, de passions cachées, secrètes, profondes, indiquées vaguement par le prisonnier présent au prisonnier à venir, dernier legs du mort au mourant.

Quand la foi est morte au cœur d’une nation vieillie, ses cimetières (et ceci en était un) ont l’aspect d’une décoration païenne. Tel est votre Père-Lachaise. Amenez-y un Indou de Calcutta, et demandez-lui : — Quel est ce peuple dont les morts ont sur leur poussière des petits jardins remplis de petites urnes, de colonnes d’ordre dorique ou corinthien, de petites arcades de fantaisie à mettre sur sa cheminée comme pendules curieuses ; le tout bien badigeonné, marbré, doré, enjolivé, vernissé ; avec des grillages tout autour, pareils aux cages des serins et des perroquets ; et, sur la pierre, des phrases semi-françaises de sensiblerie Riccobonienne, tirées des romans qui font sanglotter les portières et dépérir toutes les brodeuses ?

L’Indou sera embarrassé ; il ne verra ni pagode de Brahma, ni statues de Wichnou aux trois têtes, aux jambes croisées et aux sept bras ; il cherchera le Lingam, et ne le trouvera pas ; il cherchera le turban de Mahomet, et ne le trouvera pas ; il cherchera la Junon des morts, et ne la trouvera pas ; il cherchera la Croix, et ne la trouvera pas, ou la démêlant avec peine à quelques détours d’allées, enfouie dans des bosquets, et honteuse comme une violette, il comprendra bien que les chrétiens font exception dans ce grand peuple ; il se grattera la tête en la balançant, et jouera avec ses boucles d’oreilles en les faisant tourner rapidement comme un jongleur. Et, voyant des noces bourgeoises courir, en riant, dans les chemins sablés, et danser sous les fleurs et sur les fleurs des morts ; remarquant l’urne qui domine les tombeaux ; n’ayant vu que rarement : Priez pour lui, priez pour son âme. Il vous répondra : « Très certainement ce