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AVENTURES D’UN VOYAGEUR.

je suivis quelque temps, et qui me conduisirent à une chaîne de petites collines rocailleuses sur lesquelles le fer n’avait pas laissé d’empreinte. Je gravis néanmoins la plus élevée d’entre elles, d’où ma vue s’étendit autour de moi à plusieurs milles de distance ; mais je ne découvris rien qui pût me mettre sur la voie de mes compagnons ; je n’aperçus aucune apparence d’habitation, la nuit arrivait, et déjà une épaisse rosée commençait à tomber. Tout mon habillement consistait en une chemise légère, un pantalon de nankin et une paire de mocassins en assez mauvais état. Une heure avant le déjeuner, j’avais ôté mon habit à cause de la chaleur, et l’avais placé sur un de nos chevaux, comptant le reprendre le soir. J’avais donné mon fusil de chasse à porter à un de nos hommes ; je n’avais même plus mon chapeau, car, dans l’état d’agitation où j’étais à mon réveil, je l’avais laissé derrière moi, et m’étais avancé trop loin pour songer à aller le reprendre. — À quelque distance sur la gauche, j’aperçus un champ d’herbes hautes et épaisses ; j’y courus, et après en avoir arraché suffisamment pour m’en faire un lit et me couvrir, je me recommandai à Dieu, et m’endormis.

« Le lendemain matin, je me levai avec le soleil, tout gelé et mouillé par la rosée qui avait percé mon mince accoutrement. Je m’avançai à l’est, en marchant parallèlement aux montagnes, et passai le long de plusieurs lacs remplis d’oiseaux sauvages. Le pays était plat, et le sol graveleux. Les Indiens avaient mis le feu aux herbes, et ce qui restait de leurs tiges me mettait les pieds en sang. Vers le soir, je changeai de direction, et tournai vers le nord. À peu près à un mille de distance, je vis tout-à-coup deux hommes galopant à l’est. Je reconnus, à leurs vêtemens, qu’ils faisaient partie de notre troupe. Je courus aussitôt à une petite éminence, je criai d’une voix à laquelle la faim donnait un son aigu et singulier. — Mais ils continuèrent à galoper. J’ôtai ma chemise et l’agitai avec violence au-dessus de ma tête, en poussant des cris frénétiques. Mais ils continuèrent leur chemin. Je courus dans leur direction ; le désespoir me donnait des ailes. Rochers, troncs d’arbre tout fut franchi avec la vitesse de la gazelle : je m’épuisai