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REVUE DES DEUX MONDES.

Qui ne cherche, en tournant les pages du poète,
Qu’un seul mot qui réponde à sa douleur muette !…
Malheur !… car n’est-ce point un malheur sans retour
Que, dans un cœur si faible, un si puissant amour ?

Que de fois, au milieu d’une fête brillante,
Seule, à l’écart, fuyant, et la foule bruyante,
Et ces mille flambeaux, et leur éclat moqueur,
Qui lui semble insulter aux peines de son cœur,
Oubliée, et bientôt s’oubliant elle-même,
Elle a, d’un long regard, suivi celui qu’elle aime,
Comme si, pour le voir brillant et radieux,
Son âme tout entière eût passé dans ses yeux !
Mais qu’alors, au travers de la danse folâtre,
De sa propre beauté, quelque belle idolâtre,
Au miroir, en passant, dérobe un prompt coup-d’œil,
Elle, que blesse, hélas ! ce juste et doux orgueil,
De sa chambre, à pas lents, cherche l’asile sombre,
Pour y pleurer du moins dans le silence et l’ombre.
Et lui ! de ce départ s’est-il même aperçu ?
Cause de tant de pleurs, versés à son insu,
Quand seule elle gémit, lui, lui, sa noble idole,
Que fait-il au milieu de ce monde frivole ?
Il promène au hasard, rayonnant de gaîté,
Cet œil d’aigle, planant sous un soleil d’été,
Et ces anneaux flottans et noirs, dont avec peine
Le vent capricieux quitte l’ombre d’ébène,
Et ce sourire fier, et cependant si doux,
Que tous il les appelle et les efface tous ;
Ce sourire qu’elle aime, et qui n’est pas pour elle !
Oh ! ne l’accablez point d’une raison cruelle !
Le cœur, à notre gré, se peut il arrêter ?
Quelle voix lui dira : Cesse de palpiter ?

C’était trop de tourmens !…. Lasse de sa misère,
Elle avait imploré la paix d’un monastère.
Sa cellule est choisie, et demain est le jour
Qui doit ensevelir sa vie et son amour…
Mais, pauvre enfant ! l’amour vit de pleurs, de prière ;
Tu ne l’endormiras qu’avec toi sous la pierre.