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REVUE. — CHRONIQUE.

toujours varié, toujours simple en même temps que terrible et pathétique ; et puis voici, sans qu’elle languisse jamais, son action coupée de loin à loin par de grands morceaux lyriques, ainsi que la tragédie antique l’était par ses chœurs, comme la messe par les chants de l’orgue, tandis que la voix des prêtres se tait. N’entendez-vous pas ? Ce sont d’admirables cantiques qui tantôt, merveilles d’harmonie eux-mêmes, racontent les merveilles de l’architecture du moyen âge ; tantôt, échos fidèles, répètent le vaste concert des cloches de toutes les paroisses du vieux Paris. Dites : le poète n’est-il pas là tout entier avec son drame et son lyrisme ?

Disons le cependant, dans ce livre comme dans les autres livres de M. Victor Hugo, parmi tant d’éminentes qualités, s’il en est une essentiellement suréminente, c’est le lyrisme, sommité la plus haute de son génie, celle qui, dominant toute son œuvre, lui donne un tel caractère d’élévation et de grandeur. — C’est la flèche, qui, se dressant au-dessus du portail, monte dans le ciel, et plane sur toute la cathédrale.

Ne terminons pas sans le reconnaître, M. Victor Hugo, jeune encore, a déjà construit un bien noble et bien splendide monument. Pour le mener à fin sans doute, il a fallu que l’architecte ne manquât ni de courage, ni de persévérance ; les ignobles et grossières critiques ne lui furent pas épargnées ; — lui, sans en prendre souci, continuait laborieusement son œuvre. Mais, comme l’a dit Jean-Paul, la foule ne vient déposer d’immondices qu’au pied des grands édifices. — S’il nous était permis de continuer cette belle pensée, nous dirions aussi qu’un jour arrive où toute la cité s’indigne de ces profanations, et bientôt, obéissant à la voix unanime, les édiles font entourer de grilles dorées et de plantations le monument trop long-temps insulté.

a. fontaney


Critiques et portraits littéraires, par M. Sainte-Beuve[1]. — Voici un livre comme il s’en fait bien peu aujourd’hui, dans nos temps d’industrie et d’ambition, où l’art et l’étude sont au plus des moyens de succès dans un salon, un marchepied vers d’autres et plus actives occupations, à ce qu’on dit ; un livre plein de convictions et de sincérités, et tellement que parfois il arrive à l’auteur de ne pas frapper droit au but qu’il se propose, parce qu’il raconte trop naïvement, avec une complaisance trop délicate et trop minutieuse, les impressions qu’il éprouve en chemin.

C’est le meilleur, le plus sérieux et le plus profond ouvrage de critique que nous ayons dans notre langue. Je n’hésite pas à le déclarer, et d’autant moins que je puis prouver sans peine ce que j’avance. On y trouve toute l’érudition curieuse et patiente de Warton, la logique persévérante et inflexible de Bouterweck, en même temps ce qui manque tout-à-fait au critique anglais et au critique allemand, un sentiment fin et personnel, un sentiment d’artiste et de poète. Or on sait que les vers de Warton, bien qu’écrits avec une correction

  1. Chez Eugène Renduel.