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qu’à ce qu’il leur plaise de ressusciter (si toutefois ils en ont l’idée, ce qu’entre nous, je ne crois point), que ces messieurs reposent en paix. Que la terre de Ménilmontant leur soit légère. Il n’y a vraiment contre eux rien à dire. Chacun a bien joué son rôle. Ils sont demeurés apôtres et père suprême jusqu’au bout. Ils ont gardé leur sérieux jusqu’à la fin. Aujourd’hui que la recette baisse et que la foule se porte à d’autres parades, ils se retirent en gens d’esprit. C’est bien.

Mais à leur place, voici M. de Châteaubriand qui monte sur les planches. À la bonne heure. On commençait à s’inquiéter de son silence. Rassurez-vous cependant. Ce n’est pas encore cette fois son dernier mot. — Mais écoutez toutes les belles choses qu’il va vous dire, toutes les belles phrases qu’il va faire sur ces 12,000 francs offerts par madame la duchesse de Berry (somme que, par parenthèse on eût beaucoup mieux fait d’encaisser, en eût-il fallu donner reçu même au nom de toute la dynastie exilée, enfans, mère, oncle, tante et grand-père). Ne voyez-vous pas quelle bonne fortune pour M. de Châteaubriand que le refus de ces 12,000 francs ? Il y a là de quoi lui fournir matière à brochures pendant tout un an. Hélas ! c’est vraiment grande pitié de voir un beau talent, un noble caractère, se consumer à faire du style et dévoûment pour une si pauvre cause. Il est triste de voir l’auteur de René devenu, depuis la révolution de juillet, le porte-guenille de la légitimité. Quelque ami sincère de M. de Châteaubriand ne pourrait-il donc lui dire charitablement qu’à force de se mettre en scène sous les plus frivoles prétextes, à force de se montrer au public et de le haranguer à tout propos, hors de tout propos, comme font ces vieux acteurs qui ne veulent plus quitter le théâtre, on finit par lasser étrangement et décourager les admirations les plus persévérantes ? — Le conseil serait bon, mais je gage qu’on en ferait peu d’état.

Il y a loin de l’auteur des Martyrs à celui d’Alonzo ; cependant il fallait bien que M. de Salvandy nous donnât aussi sa petite pièce ; mais cette fois, pour varier sans doute un peu, ce n’est plus M. de Châteaubriand, c’est Milton qu’il a parodié. M. de Salvandy nous envoie le choléra en punition de nos péchés révolutionnaires. Il charge Satan de nous apporter ce cadeau : cela lui semble neuf et ingénieux. En vérité, M. de Salvandy, vous nous traitez bien peu charitablement. Vous êtes tout fier, j’imagine, des larmes qu’on prétend que Goethe aurait répandues quelques instans avant sa mort, parce qu’on n’aurait pas voulu lui permettre de lire vos Seize ou vingt mois de la révolution. Nous avions entendu cependant raconter autrement le fait. Le grand poète aurait en effet pleuré, mais après avoir lu votre livre. Non pas qu’il en eût été bien vivement touché, mais ayant si laborieusement employé sa vie entière à l’admiration des belles choses, il eût amèrement regretté de ne vous avoir ainsi consacré que quelques-unes de ses dernières heures. — Cette version est néanmoins contredite, comme invraisemblable, par des personnes fort sensées qui prétendent que cet introuvable lecteur d’Alonzo que cherchait partout Benjamin Constant, a pu seul lire Vingt mois de la révolution. Mais le lecteur d’Alonzo, c’était peut-être Ghoethe ! qui sait ?