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moins riche des trois. Il n’irait pas si volontiers aux curiosités vulgaires. Il faudrait, pour le comprendre et le suivre, plus d’attention et de sagacité, que pour inventer bien des harangues récitées à la tribune. L’iambe ou l’alexandrin éclateraient à contenir de pareils colosses, à moins d’être habilement trempés. Pour mouvoir librement tous les fils de cette vaste pantomime, la main devrait être capable d’une rude étreinte. Mais arrivé à ces hautes régions, d’où l’œil découvre les empires et les peuples comme les navires dans le port, on sentirait en soi-même un profond contentement. La vue se réjouirait à manier l’histoire comme les rayons de la lumière.

Miss Fanny Kemble a voulu relier, dans un nœud unique, les trois rameaux dramatiques que nous venons d’indiquer ; elle a voulu réunir en un commun faisceau toutes les branches de l’arbre historique, recueillir et fondre au feu de son imagination les fragmens dispersés d’un siècle gisant, pour couler une grande et magnifique statue.

Or, pour mener à fin son projet, qui seul, et quelle qu’en pût être l’issue, a droit à nos éloges, elle a inventé le personnage de Gonzales, qui passe à la cour de François Ier pour un moine espagnol, pour le confesseur de la reine, mais qui, dans la pensée de l’auteur, se joue à-la-fois de Charles-Quint, de la duchesse d’Angoulême, du roi de France et du connétable de Bourbon et dont toutes les supercheries aboutissent à venger une vieille injure de famille.

Clément Marot, Triboulet, Marguerite de Navarre, ont dans la tragédie anglaise un caractère constant de réserve et de chasteté. Laval et Lautrec sont généreux et chevaleresques ; la comtesse de Châteaubriand, jusqu’au moment de sa chute, est d’une vertu exemplaire, et même après qu’elle a souillé sa vertu d’une tache ineffaçable, elle garde encore dans toute sa conduite une parfaite innocence. Elle n’a pas l’air d’avoir cédé ; elle se reproche sa lâcheté, comme si elle n’avait pas même eu l’honneur de combattre jusqu’au dernier moment. À entendre les paroles qu’elle prononce, son crime est presqu’un rêve.