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le vous accorde. En après la bonne dame fit le signe de la vraie croix sur lui, et puis assez tôt elle rendit son esprit, lequel je crois fermement que les saints angels de paradis ravirent et emportèrent à grand joie en la gloire des cieux, car oncques de la vie ne fit ni ne pensa chose par quoi elle le dût perdre. »

C’est ainsi que pensaient et écrivaient ces hommes du moyen âge. Il faut convenir que ce n’est pas là le langage que l’ignorance leur prête aujourd’hui ; et ce ton si convenable, ce style si plein d’agrément et de goût forment le contraste le plus étrange avec les fausses et ignobles parodies, que l’on veut absolument nous donner comme la vérité littéraire et historique. Mais qu’y faire ? Froissart pouvait-il penser qu’ayant à parler du prince Noir ou de Charles v, l’histoire du Roi des ribauds fût préférable, et qu’au lieu de s’occuper des grands hommes de son temps, il dût exclusivement s’attacher à connaître ces misérables Bohémiens, ces bateleurs grotesques, qui hantaient le charnier des Innocens ou le parvis Notre-Dame. Tout le monde n’est pas d’avis de rassembler avec industrie toutes les immondices de son temps, pour les rendre immortelles. Il faudrait donc que l’on prît la peine de lire Froissart, si l’on veut réellement connaître cette société féodale que tant de beaux esprits prennent plaisir à défigurer. On verrait que, sous ces armures de fer, on tenait à l’urbanité du langage et à la noblesse des idées, autant qu’à la bravoure ; et, par amour pour notre littérature autant que par respect pour nos aïeux, je demanderais que ce père de nos historiens ne fût pas relégué dans les compilations informes des chartes et des manuscrits. Froissart méritait sans doute l’honneur d’une édition particulière, et cela se faisant, je voudrais que son nouveau livre prît quelque ressemblance avec ces vieux manuscrits, que nos aïeux parcouraient avec tant de plaisir. Aux savantes notes de MM. Dacier et Buchon, qui éclaircissent la lecture du texte, il faudrait joindre la copie de ces belles vignettes, qui souvent aident à l’expliquer. Par exemple, celle qui représente le couronnement de Charles v renferme un sens profond. Sur le premier plan, le jeune roi reçoit la couronne des mains du clergé. Dans le lointain, vous voyez une mêlée de