Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/316

Cette page a été validée par deux contributeurs.
310
REVUE DES DEUX MONDES.

balancée par d’autres priviléges héréditaires, des coutumes vivaces et des franchises d’une incontestable antiquité.

Le siècle où vécut et écrivit Froissart est à-peu-près l’époque où se mettait en branle cette ancienne monarchie dont je parle, et que M. de Châteaubriand, dans ses Études historiques, a appelée la monarchie des états, pour la distinguer de la monarchie féodale qui la précède, et de la monarchie purement absolue qui la suit. Né en 1333, Jean Froissart est mort dans la première année du quinzième siècle. Au moins on doit le supposer ainsi par l’état où il nous a laissé le dernier livre de ses Chroniques, lesquelles semblent plutôt interrompues que terminées. À diverses reprises, Froissart se compare au pieux chevalier mettant à fin l’entreprise périlleuse à laquelle il s’est voué. Pour lui, ses Chroniques étaient un vœu de chevalerie, qu’il devait poursuivre jusqu’à son dernier jour, et accomplir à son loyal pouvoir. Artiste admirable, quelle que fût la simplicité de sa pensée, il n’était pas sans en comprendre l’importance et la dignité. « Point ne voulois être oiseux, dit-il quelque part ; car je savois bien que, encore au temps à venir, et quand je serai mort, sera cette haute et noble histoire en grand cours. »

Aussi ai-je remarqué dans le chroniqueur du quatorzième siècle plus de soin, d’art et de composition que l’on ne serait porté à le croire. Le point de départ qu’il s’est fixé est heureux. C’est le double avènement d’Édouard iii en Angleterre, de Philippe de Valois en France. Il comprit sans peine que la rivalité des deux monarques, d’où naquit celle de leurs peuples, était le fait principal qui dominait les événemens dont il nous a laissé le récit « car, dit-il, c’est la vraie fondation de cette histoire pour raconter les grands emprises et les grands faits d’armes qui en sont avenus. » On dirait que, juge du camp, il veut ouvrir lui-même la lice de ce tournoi séculaire, où il aura à faire paraître trois générations de rois et de braves.

Je sais qu’il serait ridicule d’attribuer au clerc du moyen âge les idées et l’apprêt tout académique d’un homme de lettres de nos jours. Mais je ne crois pas non plus que le génie de l’homme ait jamais rien produit, au moins de beau et de durable, sans