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LOUVEL.

je n’aurai plus qu’à expliquer devant le tribunal comment j’ai mûri mon plan, et comment je l’ai exécuté. On me prive jour et nuit de l’usage de mes bras, comme si je pensais à me détruire : on me connaît donc bien peu ; je m’en garderai bien : je veux être jugé avec éclat. Oui, je voudrais, s’il était possible, qu’on me renfermât dans une vaste enceinte où tout le monde pût me voir. Le peuple viendrait m’y regarder à travers les barreaux, et certes je ne me cacherais aux yeux de personne. C’est un exemple que j’ai voulu donner aux grands qui, après avoir émigré de leur patrie, osent y revenir avec l’étranger : je n’ai point commis un crime ; j’ai voulu sauver mon pays. » Il parut ici recueillir quelques souvenirs éloignés, et confus, et il continua : « Je partis de Metz au mois de mai 1814, et je me rendis à pied à Calais, résolu d’y frapper Louis xviii, si je le rencontrais. J’arrivai deux jours trop tard ; la cour était sur la route de Paris. Quand j’avais appris la déchéance de Napoléon, des larmes de rage avaient involontairement coulé de mes yeux. J’abhorrais les traîtres qui, après lui avoir juré fidélité, l’abandonnaient si lâchement. Eût-il été un brigand, il fallait lui rester fidèle ; c’était lui qui défendait la France, et si, dans le premier moment de ma fureur, je n’eusse écouté que la passion qui m’aveuglait, j’aurais tué un maréchal de l’empire qui était alors à Metz, et qui avait indignement trahi la cause nationale : mais je pensai que mes coups pouvaient être plus utiles ; je ne voulais pas tuer un simple particulier. De Calais, je suivis les Bourbons à Paris. Là je trouvai le drapeau blanc partout arboré, l’étranger partout accueilli et fêté ; la joie paraissait générale et véritable : elle me faisait trop de mal, je partis pour Fontainebleau, où j’espérais encore trouver les restes de la vieille garde avec son drapeau tricolore et son patriotisme. Puis je n’étais pas fâché de voir de près et par moi-même la maison de l’empereur. À cette époque, les mauvais papiers disaient tant de mal de lui, que vraiment je ne savais qu’en croire, et je comptais m’instruire de la vérité en m’approchant de lui. À Fontainebleau je retrouvai la joie que j’avais vue à Paris, et qui m’en