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prierai Dieu qu’il le convertisse. Quand je le voyais si rêveur, je lui disais : Va, console-toi, je commence à prospérer ; je te donnerai de quoi t’établir. Et lui ! il me déshonore, et me prive de toutes mes ressources ! Il sait bien que je suis pauvre, et que je n’ai que mon travail pour vivre. » Louvel avait vainement demandé qu’on lui permît d’écrire à sa famille : elle ne savait rien de lui, que, comme le public, par les journaux. Songeant au sort qui attendait ses sœurs après son crime, il les plaignait avec amertume, et ne se consolait de leur infortune qu’en pensant que la nation ne se vengerait pas sur elles du forfait de leur frère. « Ma famille, disait-il, sera, je l’espère, à l’abri de toute poursuite. Les hommes sont trop éclairés aujourd’hui : ils savent bien que toutes les fautes doivent être personnelles. » Puis, pensant à Labouzelle, son parent, maître sellier du roi, chez lequel il travaillait, et qui, depuis dix ans, lui avait constamment accordé secours et bienveillance, il le plaignait d’avoir eu un ouvrier tel que lui, et semblait craindre que l’intrigue ou la calomnie ne parvînt à le frapper pour le crime de son cousin.

Le matin, vers neuf heures, on éveillait le prisonnier, on le délivrait quelques instans de la camisole pour qu’il pût s’habiller et déjeuner : ensuite on lui rendait cette entrave jusqu’au repas du soir, un peu plus substantiel que celui du matin, qui ne consistait qu’en un morceau de pain. Le détenu montrait dans son habillement et dans sa toilette une certaine propreté, une certaine recherche qui indiquaient l’ancien soldat, et dont il ne se départit point un seul jour, pas même celui de son exécution. Il prenait ses repas avec un soin remarquable, et paraissait y attacher une grande importance. C’est qu’il désirait par-dessus tout conserver sa santé et sa vigueur d’esprit pour le moment où il comparaîtrait devant le public et devant ses juges. Il craignait de perdre avec ses forces physiques la fermeté nécessaire aux réponses qu’il méditait : « Je veux prouver à mes juges, dit-il souvent, à la nation, à l’Europe, que moi seul j’ai conçu mon projet. Depuis six ans, je n’ai point passé un seul jour sans y songer. Je regretterais de montrer quelque faiblesse, quand