Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/284

Cette page a été validée par deux contributeurs.
278
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’elle portait. Quant à l’aînée, Thérèse, sa sœur d’un premier lit, c’était elle qui avait élevé son jeune frère, et qui lui avait donné le peu d’éducation qu’il possédait. Louvel avait perdu sa mère à deux ans, et son père à douze. Vers cet âge, et par les soins de Thérèse, il était entré à l’Institution des enfans de la patrie (la Pitié à Versailles). Là il avait reçu gratuitement l’instruction élémentaire ; il avait appris à lire dans la Constitution de 1791, dans les Droits de l’homme, et dans les prières républicaines, que les Théophilantropes avaient introduites dans la maison. En sortant de cette institution, il était entré en apprentissage chez un sellier de Montfort-l’Amaury. Mais comme il était encore bien jeune, et d’ailleurs assez faible, Thérèse, qui l’affectionnait beaucoup, l’avait appelé auprès d’elle ; et tout en continuant son métier, l’enfant l’aidait dans les soins d’une petite boutique de mercerie qu’elle possédait à Versailles. Aux instans de loisir, elle l’instruisait dans les livres dont les feuilles volantes servaient à son chétif commerce, et parfois lui achetait, à force d’économie, quelques publications des Théophilanthropes que le jeune homme paraissait beaucoup aimer. Le décadi, il se rendait régulièrement au temple des nouveaux religionnaires, et y écoutait avec un vif plaisir les hymnes qu’on y chantait à la louange de Dieu, de la liberté et de la patrie. À seize ans, Thérèse, se fiant à la fermeté de son caractère et aux bons principes qu’elle lui avait inculqués, l’envoya seul à Paris, chez un sellier de sa connaissance, pour y terminer son apprentissage. Au dire de sa famille, le caractère de Louvel était alors gai, doux, ouvert : il était sobre, travailleur et rangé. Il conserva toutes ces qualités au milieu de la capitale ; mais il y perdit la gaîté de son enfance, peut-être par le simple effet de l’âge, peut-être aussi par la vie sérieuse et difficile qui entoure un jeune homme condamné à se suffire à lui-même ; mais, dès cette époque, fuyant des liaisons où il voyait sans doute quelques dangers pour ses mœurs comme pour ses travaux, il commença à mener l’existence solitaire et taciturne que depuis il ne quitta plus. À dix-huit ans, assez instruit dans son métier pour en tirer sa vie partout où il voudrait travailler, il quitta Paris,