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REVUE DES DEUX MONDES.

En ma qualité de curieux, j’allais à pied par les rues, en habit noir, comme me voici, et la canne à la main, comme me voilà. Alors je cherchais de loin les canonniers (il en faut toujours un peu en révolution), et quand je les avais trouvés, j’étais sûr d’apercevoir au-dessus de leurs chapeaux et de leurs pompons, la tête longue de mon paisible Blaireau, qui avait repris l’uniforme, et me cherchait de loin avec ses yeux endormis. Il souriait en m’apercevant, et disait à tout le monde de laisser passer un citoyen de ses amis. Il me prenait sous le bras ; il me montrait tout ce qu’il y avait à voir, me nommait tous ceux qui avaient, comme on disait, gagné à la loterie de sainte Guillotine, et, le soir, nous n’en parlions pas : c’était un arrangement tacite. Il recevait ses gages, de ma main, à la fin du mois, et refusait ses appointemens de canonnier de Paris. Il me servait pour son repos et servait la nation pour l’honneur. Il ne prenait les armes qu’en grand seigneur : cela l’arrangeait fort, et moi aussi.

Tandis que je contemplais mon domestique… (ici je dois m’interrompre et vous dire que c’est pour être compris de vous, que j’ai dit domestique ; car, en l’an ii, cela s’appelait un associé) ; tandis que je le contemplais dans son sommeil, la sonnette allait toujours son train, et battait le plafond avec une vigueur inusitée. Blaireau n’en dormait que mieux. Voyant cela, je pris le parti d’aller ouvrir ma porte.

— Vous êtes, peut-être au fond, un excellent homme, dit Stello.

— On est toujours bon maître quand on n’est pas le maître, répondit le Docteur noir. J’ouvris ma porte.


CHAPITRE XXII.
D’un honnête vieillard.

Je trouvai devant moi deux envoyés d’espèces différentes : un vieillard et un enfant. Le vieux était poudré assez proprement ; il portait un habit de livrée où la place des galons se voyait en-