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REVUE. — CHRONIQUE.

de rénovation et de rajeunissement littéraire, préparé et presque nécessité par les imitations du romancier écossais qui ont rassasié l’Europe.

Le style de Raoul est simple et facile. Plusieurs chapitres cependant comporteraient, avec avantage, de plus larges développemens. Il y en a un que je voudrais voir changer et qui semble faire tache dans l’ouvrage. C’est celui où madame Leblanc dîne à la même table que Raoul et lui presse le genou. C’est peut-être un trait de nature ; mais on ne le regretterait pas.


Les cent contes drolatiques. — M. de Balzac nous promet cent contes drolatiques, et s’il faut en croire la couverture de son nouveau volume, le second dixain doit paraître dans le courant de l’année. Cependant cette nouvelle, quoique imprimée en beaux et lisibles caractères, ne me semble pas encore très avérée ; car le conteur en titre des cabinets de lecture et des femmes oisives, en donnant la table thématique de son œuvre, arrive au chiffre xvi, et le public impatient ne possède encore que le chiffre x. Mais il est homme à tenir sa parole. Voyez seulement ce qu’il a produit en deux ans. Il a laissé bien loin derrière lui, pour la rapidité de ses improvisations, l’auteur d’Ivanhoé et l’auteur de Candide. Je ne veux pas le chicaner sur ses Contes philosophiques. ni même sur ses Scènes de la vie privée, bien qu’à mon sens de pareils titres soient une flagrante antonomase, et désignent très imparfaitement la substance du livre. Je ne discuterai pas l’origine et le type de Valentin, de Pauline et de Fœdora. Toutes ces inventions n’ont pas moins d’un an sur les épaules, et sont bien vieilles déjà. La critique n’a plus rien à faire avec elles.

Mais si j’osais donner un conseil à M. de Balzac, que la gloire et le succès étourdissent sans doute, si j’osais mêler ma voix et mes remontrances aux éloges qui l’accueillent dans tous les cercles dont il est l’orateur et le héros, je le prierais très sérieusement de ne plus toucher à la langue de Rabelais et de Beroald, de n’essayer pas la réhabilitation et le rajeunissement de Marguerite de Navarre. Pantagruel et Gargantua, les Nouvelles et le Moyen de parvenir sont venus en leur temps et n’ont plus de rôle à jouer aujourd’hui. L’archaïsme le plus hardi et le plus habile ne saurait leur rendre le mérite indispensable à toutes les œuvres, celui de l’opportunité.

De ce que Chatterton a pu mystifier impunément les savans de la Grande-Bretagne, en leur livrant, comme des parchemins retrouvés dans la bibliothèque d’un monastère, des poèmes qui n’avaient que son âge, on aurait tort de conclure que le vieux langage soit un sûr moyen de réussir. Si le pseudonyme Rowley eût donné comme sien ce qu’il mettait sur le compte du passé, je m’assure qu’il n’eût pas même été sifflé. Pareille chose fût advenue à Macpherson et à M. Vanderbourg sans Ossian et Clotilde de Surville.

Si M. de Balzac avait pu faire accroire que le premier dixain de ses Contes drolatiques n’était pas de lui, peut-être eût-il obtenu les honneurs d’une enquête ; peut-être se fût-il rencontré un érudit de la force et de la conscience du docteur Blair, capable d’écrire une dissertation in-4o, sur la date probable et l’authenticité présumée du conteur imaginaire. Mais la première condition d’un