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LETTRE DE M. LE BARON DE MONTBEL.

Si, en éclatant à Vienne, le fléau atteignit d’abord les masses supérieures dans les quartiers les plus opulens, cette circonstance singulière pourrait s’expliquer par l’appréciation de quelques faits. La pluie qui tomba soudainement dans la journée du 13, mouilla et refroidit les gens de la suite de plusieurs personnes considérables, qui allaient à Schoenbrunn ou en revenaient, entre autres un chasseur du prince Odescalchi, les gens de la marquise Palavicini, et plusieurs autres dont les noms ne se présentent plus à ma mémoire. Le service de ces hommes, et peut-être plus tard, leur imprudence, leur firent négliger de prendre des précautions contre ce refroidissement. Quoi qu’il en soit, le choléra les saisit, et se propagea immédiatement dans les maisons et les quartiers qu’ils habitaient. Les personnes des classes moins aisées, plus libres de se mettre à couvert pendant l’orage, avaient été moins exposées aux mêmes inconvéniens que ces domestiques immobiles, derrière des voitures, sans manteau, sans abri quelconque, subissant une averse qui pénétra leurs vêtemens. Le mal a affecté ensuite une marche capricieuse en apparence, déterminée sans doute par des lois tout-à-fait inconnues : mais partout, indiquant une contagion dont les véhicules sont ignorés, et qui d’abord agit sur les individus prédisposés isolément, ensuite soudainement sur les masses avec la violence d’une explosion, en diminuant peu après l’intensité comme le nombre de ses attaques.

Outre les faits que j’ai déjà indiqués à l’appui de la contagion, outre les évènemens funestes qui, ainsi que vous le savez, en ont signalé les dangereuses conséquences, dans les salles de clinique, j’ai recueilli d’autres observations faites par diverses personnes éclairées ; toutes tendent au même résultat. En Hongrie surtout, où le mal a fait tant de ravages, il a été presque toujours le résultat des préventions aveugles d’une populace en délire. On a poussé la fureur jusqu’à déterrer les cadavres, ici, pour prouver qu’on ne croyait ni au mal, ni à la contagion ; là, pour enfoncer superstitieusement un pieu dans la poitrine du mort qu’on accusait, je ne sais sous quel prétexte, d’être vampire et d’être auteur de la mortalité. En Transylvanie, le peuple s’est violemment emparé des cadavres que, par prudence, le gouvernement voulait faire inhumer sans cérémonie, ils ont été portés à l’église comme en triomphe, aux cris insensés de Vivat choléra. Ces actes ont toujours été suivis d’une terrible mortalité. Parmi les faits les plus frappans de la contagion, j’ai retenu celui que m’a cité le comte Z. F. Pendant qu’il remplissait les fonctions de commissaire extraordinaire de l’empereur dans un des comitats de Hongrie, un médecin, sous ses ordres, fut appelé par une veuve pour un de ses enfans malades. L’enfant était attaqué du choléra ; mais les symptômes étaient peu graves. Le médecin rassura la mère et lui dit qu’il viendrait bientôt la revoir. Dans la soirée, l’enfant était soulagé, mais la mère était tombée malade, et était assistée de ses autres enfans. Le lendemain, la mère et ses six enfans étaient morts, le premier atteint avait seul survécu.

Le mal à Vienne a gardé moins long-temps que partout ailleurs son caractère de malignité rapide. Il y a eu moins de ces morts presque subites qu’on a signalées dans d’autres localités. Un des exemples les plus frappans de ces des-